Les islamistes, nouveaux maîtres de la Libye
Les islamistes gagnent du terrain en Libye après l’éviction mardi du Premier ministre Ali Zeidan, au moment où les manœuvres des forces loyales au Parlement face aux rebelles autonomistes de l’Est font planer la menace d’une guerre civile. Ali Zeidan n’a pas survécu mardi à un énième vote de confiance au Congrès général national (CGN, Parlement), la plus haute autorité politique du pays, où des blocs islamistes tentaient depuis des mois de faire tomber le gouvernement pour mettre la main sur l’exécutif.
Surpuissant Congrès
Même s’ils ne sont pas majoritaires au sein des quelque 200 membres du Congrès, les islamistes ont réussi à gagner en influence, en recrutant des députés, en particulier au sein du bloc du Parti pour la justice et la construction (PJC, issu des Frères musulmans) et du bloc Wafa, plus radical. Depuis son élection en juillet 2012, le Congrès s’est accaparé quasiment tous les pouvoirs, laissant peu de marge de manoeuvre au gouvernement.
L’ex-Premier ministre dénonçait régulièrement cet empiètement du législatif sur l’exécutif. Samedi encore, il avait précisé que le chef d’état-major de l’armée ne recevait des ordres que du Congrès, et non du ministre de la Défense. Malgré la pression des islamistes, Ali Zeidan refusait de démissionner : "Nous n’insistons pas pour rester. Mais nous sommes soucieux de ne pas livrer le pays à une certaine partie qui risque de le mener vers une direction qui ne sert pas l’intérêt national", avait-il expliqué samedi.
La Libye à la merci des milices
Mahmoud Chamman, chef d’une télévision privée et ancien ministre de l’Information, a accusé le Congrès de "banditisme constitutionnel" et une dizaine d’élus ont dénoncé des "irrégularités" dans la procédure du vote de confiance contre le gouvernement. Après ce coup de force politique, les islamistes semblent aussi déterminés à gagner du terrain sur le plan militaire et à exclure leurs principaux rivaux, selon un diplomate occidental : les puissantes milices de la ville Zenten dans l’Ouest, loyales au courant libéral et à l’ex-Premier ministre, et les autonomistes de l’Est, qui bloquent depuis des mois d’importants sites pétroliers.
Ainsi, peu après le limogeage d’Ali Zeidan, le Conseil local et militaire de Tripoli a publié un communiqué réclamant le départ de "toutes les formations positionnées dans les sites stratégiques, particulièrement à l’intérieur de l’aéroport international de Tripoli et sur la route de l’aéroport", en allusion aux milices de Zenten. En outre, le CGN a ordonné lundi de former une "force armée pour libérer et lever le blocage sur les ports pétroliers".
Risque de partition
Cette force devrait être composée d’unités de l’armée et d’ex-rebelles ayant combattu le régime de Muammar Kadhafi en 2011, même si les rivalités au sein des factions et groupes d’ex-rebelles et la prolifération des armes récupérées en grande partie dans l’arsenal de l’ancien dictateur forment un cocktail dangereux. Le Bouclier de Libye, une milice islamiste composée essentiellement d’ex-rebelles de Misrata (ouest), a été la première force à progresser vers Syrte, plus à l’est, où elle a obligé mardi soir des rebelles de la Cyrénaïque (Est) à quitter leurs positions.
"Nos forces se sont retirées vers Wadi Lahmar", à 90 kilomètres à l’est de Syrte, frontière historique de la Cyrénaïque selon la Constitution de 1951, a expliqué une source rebelle sous couvert de l’anonymat. Cette source a cependant dénoncé l’intervention d’une "milice tribale" plutôt que de l’armée régulière et mis en garde contre un risque de "guerre civile". Des chefs de tribu et des dignitaires de la région orientale ont prévenu mardi soir qu’une attaque contre la Cyrénaïque conduirait à une partition du pays. Ces autonomistes avaient déjà annoncé en août la formation d’un gouvernement local et la création d’une banque et d’une compagnie de pétrole.