Les ex du régime de Saddam Hussein, terreau des radicaux
Les régions sunnites où règne l’Etat islamique en Irak et au Levant étaient le cœur du pouvoir baasiste de l’ex-dictateur.
Ainsi, Abou Abdou Rahman al-Bidawi, l’homme qui dirige les opérations militaires de Daech, est un ancien officier de Saddam Hussein, tout comme son assistant Abou Ali al-Anbari. Abou Ahmed al-Alwani, le wali («gouverneur») nommé par les insurgés pour la province d’Al-Anbar (ouest) et l’un des chefs militaires de Daech, est un ancien colonel de Saddam. Abou Muslim al-Turkmani, autre commandant des insurgés, fut aussi un baasiste notoire. Même dans la Syrie voisine, où sévit la branche syrienne de l’EIIL, on trouve encore, d’anciens baasistes irakiens, comme Saddam al-Jamal, le wali de la province de Deir el-Zor.
Jeune chercheur irakien, spécialiste des questions stratégiques, Hisham al-Hshimi analyse cette mutation des officiers baasistes vers les groupes salafistes. «Non, ce ne sont pas des opportunistes. Ils n’étaient pas ou peu croyants. Quand le système de Saddam s’est effondré, ils le sont devenus et ont rejoint naturellement les salafistes. Dès lors, Daech est constitué à la fois de salafistes purs et durs et d’anciens officiers de Saddam», explique-t-il.
Apostat. Déjà, le baasisme, idéologie laïque et nationaliste au départ, avait entamé une mutation vers l’islamisme pendant la dizaine d’années qui avait précédé la chute du dictateur. C’est l’époque où la consommation d’alcool devient interdite en Irak, où les prédicateurs menacent, sur Radio Bagdad, de faire couper en morceaux tout apostat, où les chrétiens n’ont plus le droit d’acheter des terrains ni de donner de prénoms autres qu’arabes à leurs enfants. Et où Saddam Hussein en personne recopie le Coran en trempant sa plume dans son propre sang. Lors de l’invasion américaine, il avait imaginé la résistance comme un front à la fois patriotique et islamique. C’est précisément Mossoul qui allait, avec Fallouja, incarner l’opposition sunnite à l’armée américaine.
Si, jeudi, les jihadistes ont pu s’emparer aussi facilement de Mossoul, c’est aussi parce que cette grande ville de 2 millions d’habitants est depuis longtemps un bastion de l’ordre islamique le plus orthodoxe. C’était déjà vrai du temps de Saddam Hussein qui avait laissé se constituer des groupuscules salafistes, qu’on reconnaissait à leurs dishdashas («robes») plus courtes et à leurs barbes d’hommes préhistoriques. Le dictateur avait aussi encouragé la multiplication des mosquées : on en comptait 1 200 à la veille de sa chute. Le 8 septembre 2002, les chrétiens, qui autrefois constituaient une minorité importante, furent même victimes d’un pogrom après que des salafistes eussent tenté d’enlever des jeunes filles, aux cris de «morts aux chrétiens, jihad pour le peuple de Mahomet», à la sortie de la messe. La police n’était quasiment pas intervenue.
En fuite. L’invasion américaine de 2003 a rebattu toutes les cartes. Avec la chute du dictateur, puis son exécution, la minorité sunnite perd le pouvoir au profit des chiites, majoritaires en Irak. La nouvelle constitution, influencée par les Américains, accroît sa marginalisation. Les sunnites se retrouvent dans la situation des chiites sous Saddam Hussein. Avec pour conséquence, la guerre civile des années 2006-2008. Avec le Premier ministre, Nouri al-Maliki, le ressentiment sunnite va rejaillir. «En apparence, il y a partage du pouvoir. Il y a des sunnites à des postes importants mais, dans les faits, ils ne sont pas associés aux décisions et à l’exercice du pouvoir. Le Conseil des ministres ne fonctionne pas de manière collégiale. Et la conduite de la guerre relève de son seul bureau militaire. C’est Al-Maliki et lui seul qui supervise les forces de sécurité, la justice et les finances», explique un diplomate à Bagdad.
Depuis décembre 2012, le mécontentement sunnite va s’exprimer dans des campements de protestation dans les régions où les sunnites sont majoritaires. C’est la décision d’Al-Maliki, le 30 décembre, de démanteler le principal d’entre eux, près de Ramadi (centre), qui va mettre le feu aux poudres. La prise de Fallouja interviendra d’ailleurs quelques jours plus tard. Auparavant, la plupart des leaders sunnites avaient été chassés du pouvoir : Tarek al-Hachémi, l’ancien vice-président, a été condamné à mort pour meurtres et est en fuite ; Rifaa al-Issawi, le ministre des Finances, l’est aussi après s’être querellé avec Al-Maliki. Or, tous deux avaient une base populaire importante. Sans compter que tous ceux qui participent à son gouvernement sont aujourd’hui discrédités.
Pour les insurgés sunnites, le contexte politique est donc des plus favorables et favorise le recrutement de volontaires pour le jihad. Avec 5 000 combattants, face à des forces de sécurité considérables – 1,2 million d’hommes, dont 600 000 policiers et 350 000 soldats -, Daech ne pèse cependant pas bien lourd. Mais, comme on le voit dans la composition du Conseil révolutionnaire qui dirige depuis bientôt six mois Fallouja (320 000 habitants), les islamistes ont reçu le soutien, outre les ex-officiers de Saddam Hussein, de certaines tribus et même des puissants et occultes réseaux soufis. Plus qu’une rébellion islamiste, c’est une guerre sunnites-chiites qui a repris en Irak.