Le Maghreb et l’onde de choc du RN au pouvoir
Les Maghrébins comme les Français sont régulièrement soumis aux salves des sondages qui annoncent de manière presque unanime la victoire du Rassemblement National en France et la possibilité fort probable que son chef Jordan Bardella puisse être le futur premier ministre. La dynamique en faveur du RN est bien présente et sauf miracle à gauche, personne ne semble pouvoir dérailler ce train fou du Rassemblement National qui fonce sur l’Assemblée nationale et Matignon.
Train fou à cause des nombreuses polémiques et autres renoncements opérés par la direction du RN sur de des sujets qui faisaient office de marqueurs identitaires du mouvement. Sans aucun doute pour faire avaler l’amère pilule à ses militants d’avoir reculé sur des sujets phares du programme RN comme la baisse de la TVA ou la suppression de la réforme du régime des retraites, le Rassemblement nationale avait mis en avant la polémique sur la binationalité.
Hélas pour Jordan Bardella et Marine Le Pen, ce qui devait être juste un produit d’appel qui confirme aux yeux de son électorat l’idéologie de la préférence nationale et la matrice politique de son programme est devenue une intense polémique dans laquelle le RN se dépêtre maladroitement, surtout que depuis qu’un de ses hommes prometteurs, le député sortant Roger Chudeau, avait proposé d’interdire aux binationaux d’occuper des fonctions ministérielles pour « un problème de loyauté », ciblant au passage nommément l’ex-ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem et son programme de l’apprentissage de l’arabe dans les classes de CP.
Le RN s’est empêtré dans le piège de la binationalité et de la préférence nationale, au point que Marine Le Pen a rapidement désavoué Chudeau, empressée d’ajouter que ce qu’il a avancé au sujet des ministres binationaux est « totalement contraire au projet du RN ». Si cette polémique dégage un halo de xénophobie auquel les Maghrébins ne sont pas insensibles, le ciblage sécuritaire de ces communautés immigrées, binationaux compris, n’est pas non plus de nature à apaiser les craintes entre les deux rives de la Méditerranée à l’ombre d’une gouvernance RN.
Dans ce contexte, les chefs à plumes du RN ont eu pendant la campagne électorale l’occasion de formuler quelques propositions. Notamment celles qui consistent à obliger les pays du Maghreb à accueillir leurs nationaux clandestins et à permettre l’exécution des obligations de quitter le territoire en délivrant des laisser-passer consulaires. Au lieu de faire le choix d’une négociation politique, le RN promet déjà de recourir à la manière forte qui consiste à supprimer et les visas et, l’aide au développement à ces pays et à compliquer énormément les opérations de transferts d’argents en provenance de leurs diasporas.
Cette démarche d’escalade et de rupture affichée par l’élite RN qui s’apprête à se ruer sur le pouvoir n’est pas de nature à rassurer. A moins que l’exercice du pouvoir, Ô combien difficile, les oblige à revoir leur copie.
Si cette situation de tensions est commune aux pays maghrébins, il y a d’autres facteurs qui les mettent sur une échelle différente. Avec Alger, le RN dont l’ADN politique est formé de composantes très « Algérie française » ne promet pas une relation en mode long fleuve tranquille. Les phases de tensions sur la mémoire, les accords de gestion de la crise migratoire sont presque déjà en cours de mise en scène. La décision souvent annoncée de le l’extrême droite d’abroger le fameux accord franco-algérien de 1968 sur l’immigration qui offre de nombreux avantages aux Algériens et que le régime algérien considère comme un butin de la guerre contre l’occupant français. Marine Le Pen avait promis une posture de clarification avec l’Algérie. Et elle ne se fera pas sur le mode apaisé que voulait suivre, sans succès, Emmanuel Macron.
Avec le Maroc, outre ces possibles et sans doute inévitables tensions sur la question migratoire, les choix diplomatiques du RN et ses promesses de reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara, sur le mode tranché d’un Donald Trump, sont de nature à rompre avec la zone grise. Des cadres du parti ont à plusieurs reprises affirmé que le RN au pouvoir procéderait sans délai à la reconnaissance de la marocanité du Sahara. Ce qui non seulement va clore définitivement cette discorde régionale, artificiellement entretenu par Alger, mais va aussi obliger l’ensemble de la région à envisager son présent et son avenir sous un autre angle que le statu quo paralysant toutes les dynamiques aussi bien politiques, économiques que diplomatiques.