Le géopolitologue Fréderic Encel sur France inter : le Maroc, un « îlot de stabilité en pleine tempête arabe »
Dans le cadre de la « chronique internationale » de France inter de ce mardi 30 juillet, le géopolitologue Fréderic Encel a abordé la situation au Maroc à l’occasion de la de la fête du Trône, précisant que cette célébration donne l’occasion aux géopolitologues de jeter un regard sur ce pays, qui, « décidément, progresse à contre-courant de son environnement à la fois africain et arabe ». Il a aussi qualifié le Maroc d’un « îlot de stabilité en pleine tempête arabe ». Texte intégral:
FREDERIC ENCEL: Eh bien oui, et comme chaque année, la Fête du trône, célébrée en grandes pompes, donne l’occasion aux géopolitologues, de jeter un regard sur ce pays, qui, décidément, progresse à contre-courant de son environnement à la fois africain et arabe. Qu’on en juge plutôt : guerre ouverte en Syrie, effondrement de l’Etat en Somalie, crise institutionnelle profonde en Egypte et en Tunisie, cahot terroriste en Irak, graves menaces sur l’unité nationale, en Irak toujours, ainsi qu’en Libye et au Yémen, crise de succession à venir en Arabie Saoudite et en Algérie, et enfin, marasme économique et social presque partout. Jamais la Ligue des Etats arabes n’aura connu un tel état de déliquescence, or, parmi ses rarissimes membres à y échapper, on trouve donc, en effet, le Maroc. Certes, les pétromonarchies du Golfe résistent elles aussi à la tempête, mais avec des économies rentières, reposant exclusivement sur de faramineuses richesses en hydrocarbures, c’est tout de même moins compliqué que lorsqu’on en est complètement dépourvu.
PIERRE WEILL: Frédéric ENCEL, cette stabilité par gros temps, est-ce l’économique ou le politique qui la préserve ?
FREDERIC ENCEL: Eh bien sans doute un peu les deux. Mais restons un instant sur l’économie. Non seulement le Maroc échappe donc largement aux secousses, à la fois régionales et mondiales, mais elle se paie même le luxe de progresser, cette économie marocaine, car comme on l’a vu la semaine passée, dans cette chronique, grands et petits émergeants connaissent un fort ralentissement de leur croissance ces deux dernières années, ce qui n’est donc pas le cas du Maroc, où depuis le début des années 2000, la croissance annuelle progresse régulièrement d’environ 5 %. Or, cette progression ne repose plus principalement sur le secteur primaire, autrement dit l’agriculture et les sous-sols, comme dans beaucoup des Etats arabes ou africains, mais s’appuie aussi sur un tertiaire, c’est-à-dire les services, en plein développement. Tout cela, ainsi que des infrastructures portuaires, ferroviaires, autoroutières ou encore hydrauliques, en croissance, eh bien tout cela hisse le Maroc à la cinquième place des économies africaines, derrière notamment les géants Sud-africains ou Nigérians. Cette réalité n’est pas due au hasard, le hasard est très peu présent en géopolitique et en économie, non, on a affaire, et que cela plaise ou pas, à une bonne gouvernance du souverain Mohammed VI. Du reste, l’Union européenne, le programme des Nations Unies pour le développement ou encore les fameuses agences de notations, ne s’y trompent pas, qui, tout en pointant des difficultés, comme un taux de chômage à 10 %, de fortes disparités villes/campagnes ou encore la trop lente alphabétisation dans certaines régions, accordent au royaume chérifien, de nombreux satisfécits.
PIERRE WEILL: Oui, cela dit, Frédéric, on a vu des Etats économiquement stables, connaitre eux aussi de graves troubles politiques.
FREDERIC ENCEL: C’est parfaitement exact, Pierre, y compris il y a peu, et dans la sphère arabe. Du reste, le Maroc connait lui aussi ses crises politiques, la dernière en date ayant eu lieu voilà seulement deux semaines, au sein de la coalition gouvernementale. Mais le pays ne sombre pas pour autant dans le marasme, l’équilibre des pouvoirs entre le Palais et le Parlement, tient bon, et avec lui, l’architecture institutionnelle du pays. Quant au fléau de l’islamisme radical, qui a durement sévi dans les années 2000, il a été jugulé par une politique duale, extrême fermeté face au terrorisme et conciliation vis-à-vis des partis conservateurs, jouant le jeu du débat démocratique. De toute façon, face à une longue dynastie jamais colonisée et descendante du prophète, les radicaux manquent sérieusement d’arguments. Aujourd’hui, entre Atlantique, Méditerranée, Euphrate et Océan indien, nombre de dirigeants arabes lorgneront sans doute vers Rabat, cette capitale paraissant décidément bien loin du séisme qui risque un jour de les emporter.