Les manifestants, venus des quartiers sud de la capitale économique d’Israël, où ils résident pour la plupart, ainsi que de Jérusalem ou de Beer Sheva, ont protesté dans le calme, certains exhibant symboliquement leurs mains entravées, en scandant : « Nous ne sommes pas des criminels ! »
« On en a assez d’être humiliés et stigmatisés par une poignée de députés qui nous traitent d’infiltrés et de voyous, alors que nous sommes des réfugiés politiques », s’emporte Habtom Mehari. Arrivé en Israël en décembre 2007, au terme d’une éprouvante équipée à travers le Soudan, l’Égypte et la péninsule du Sinaï, cet Érythréen affirme avoir fui la violence politique de son pays. « Depuis lors, nous nous battons en silence pour que nos droits soient reconnus mais les autorités israéliennes ne veulent rien entendre. Cette manifestation représente en quelque sorte notre dernière chance. »
« Ici, ce n’est pas l’anarchie »
Confrontés depuis 2006 à un fort afflux de migrants originaires d’Afrique de l’Est, les gouvernements successifs ont adopté une politique de fermeté, dictée par leur crainte existentielle de se trouver submergés. « Le problème de ceux qui s’infiltrent illégalement par le sud constitue une menace pour le caractère juif et démocratique de l’État d’Israël », déclara ainsi Benyamin Nétanyahou avant de se résoudre, en 2012, à ordonner l’édification d’une clôture à la frontière avec l’Égypte. Les clandestins furent presque systématiquement placés en détention à leur arrivée sur le sol israélien, avant de se voir délivrer une autorisation de séjour assortie d’une interdiction de travailler. « Ces gens errent depuis lors dans des limbes juridiques, explique Sigal Rozen, responsable de l’ONG Hotline pour les réfugiés et les migrants. Israël s’abstient de les expulser parce qu’ils risqueraient d’être maltraités dans leur pays d’origine, mais refuse absolument d’examiner leurs demandes d’asile. Le tout en leur déniant le droit de gagner leur vie ou de quitter ce pays pour un autre… »
« Notre existence est impossible, plaide Suzanne, une Soudanaise mère de six enfants, qui a gagné Israël en 2012, et s’est depuis lors installée au sud de Tel-Aviv. Comment puis-je les élever dignement alors que je suis obligée de me cacher pour travailler ? » Teddy, un Érythréen arrivé en 2007, complète : « On consomme, on paie des loyers, on occupe les boulots dont les Israéliens ne veulent pas… Ce gouvernement ne peut pas continuer à nous traiter comme des fantômes ! »
Fin décembre, c’est l’entrée en vigueur d’une loi qui autorise la rétention des migrants, hors tout cadre judiciaire, pour une durée d’un an, qui a focalisé leur colère. Plusieurs centaines d’entre eux ont depuis été placés dans le centre semi-fermé de Holot, à l’extrême sud du pays, où ils doivent pointer trois fois par jour, sous peine d’être envoyés en prison. « C’est proprement indigne », s’emporte Yaniv Ashkenazi, propriétaire du café Shaffa, qui avec une cinquantaine d’entrepreneurs de Tel-Aviv a pris fait et cause pour les manifestants. « Il faut en finir avec l’hypocrisie ambiante, s’agace-t-il. J’emploie huit travailleurs clandestins et je sais très bien que le gouvernement ne me poursuivra pas pour cela, car le pays a besoin de cette main-d’œuvre. La moindre des choses est de réserver un traitement décent à ces gens qui ont été persécutés dans leur pays. »
Manifestement peu sensible à ce plaidoyer, le ministre de l’Intérieur semblait camper lundi sur ses positions. « Les sanglots versés par les propriétaires de restaurants sur la vaisselle qui s’accumule dans l’évier ne détermineront pas la politique d’Israël », a moqué Gideon Saar, selon qui la plupart des manifestants « ne sont pas des réfugiés », mais des migrants économiques. « Ici, ce n’est pas l’anarchie, a pour sa part estimé la députée nationaliste Miri Regev, coutumière des sorties au vitriol contre les clandestins. À terme, ces gens risquent de prendre le contrôle du pays. Nous ne sommes pas prêts à accueillir 100 000 infiltrés musulmans ! »
À l’abri du cordon policier déployé le long du cortège, une poignée de contre-manifestants affichaient également leur hostilité aux immigrés africains, les accusant d’avoir importé drogues et insécurité dans les quartiers sud de Tel-Aviv. « On ne peut plus y sortir après 22 heures sans se faire agresser, affirme, sous couvert de l’anonymat, un trentenaire potelet en brandissant un drapeau israélien. Regardez la vérité en face ! L’immense majorité de ces gens sont venus en Israël pour trouver du travail et semer la pagaille. » Le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, lui, s’est borné à trancher : « Les manifestations et les grèves ne serviront à rien. »