Le ton est donné. A 52 ans, l’imam maroco-canadien, installé en France depuis près de vingt ans, se pose en promoteur d’un " islam de France citoyen, d’un islam de cohabitation ". Avec Lhoussine Tahri, le président de l’association, qui depuis des années gère la mosquée, il organise samedi 8 juin une journée portes ouvertes pour " lutter contre les peurs et l’ignorance ". " C’est aux musulmans de France de rassurer les autres Français ", estiment les responsables, las de voir des extrémistes de tous bords " parler au nom de l’islam ". Dans cette entreprise " d’ouverture ", ils avaient même invité les responsables du Front national. Ces derniers ont décliné.
Résolus à " faire découvrir les véritables valeurs de l’islam ", les responsables de cette mosquée, qui chaque vendredi accueille jusqu’à 3 000 fidèles, ne cachent pas leurs inquiétudes. " Une toute petite minorité fait beaucoup de dégâts à "l’islam de France" ", déplorent-ils, dans une allusion aux groupes de type salafiste, qui, ici comme ailleurs en France, prônent un islam ultrarigoriste et " endoctrinent les jeunes ". Une situation face à laquelle ils se sentent un peu seuls. " Pendant que, sur le terrain, on se débat avec ces problèmes, le Conseil français du culte musulman (CFCM) – qui organise des élections samedi 8 juin – ne parvient pas à sortir de ses querelles entre Algériens et Marocains ! ", regrette M. Tahri. En France depuis trente-huit ans, il en appelle aussi " à l’Etat " et aurait aimé que le ministre de l’intérieur vienne soutenir leur journée portes ouvertes.
L’imam est plus sévère encore. Il ironise avec insistance sur le CFCM, qu’il a rebaptisé " Couscous français couscous maghrébin ". " Il n’y a rien à en attendre ", tranche-t-il. Porteur d’un islam traditionnel aux accents conservateurs, il n’hésite pas à interpeller en plein prêche les plus rigoristes des musulmans, en les traitant de " frustrés " ou de " désorientés ". " Aujourd’hui, l’islam est un refuge pour des jeunes "à problèmes" ", renchérit M. Tahri.
" On voit partir des jeunes quelques mois ou un an dans un pays du Golfe, parfois grâce à des bourses ; ils reviennent avec un bagage religieux léger mais qui suffit à impressionner certains. Le problème c’est que, face à ces imams autoproclamés, on a des imams traditionnels plutôt âgés, qui ne parlent pas le langage des jeunes, ou des religieux envoyés par les pays d’origine, qui ne connaissent pas la langue et la société françaises. " M. Khattabi, lui-même " formé sur le tas, au Maroc, au contact d’oncles très religieux ", pense tenir le choc. Il assure " avoir étudié la laïcité " et estime que son école juridique, le malékisme, l’incline " au bien-vivre-ensemble avec des personnes de toutes cultures ". Mais il plaide pour l’émergence d’imams " francophones, bien formés et encadrés ".
" Former des cadres, c’était l’une des missions du CFCM, mais il n’a rien fait ", regrette M. Tahri, dont la mosquée, après avoir hésité, participe aux élections de samedi. " C’est notre seul outil et s’il disparaît, on ne sait pas ce qui viendra derrière. Dans la région, plusieurs imams sont harcelés par des petits groupes qui les discréditent et estiment qu’ils ne prônent pas le "vrai" islam. "
Démuni face à des jeunes qu’il a vu grandir, M. Tahri n’est pas encore tout à fait découragé mais craint que les plus fondamentalistes prennent bientôt la place des anciens. " Aujourd’hui, ce sont encore les "blédards" – première génération d’immigrés – qui tiennent les mosquées mais derrière eux, les plus susceptibles de le faire, les plus investis, ce sont les salafistes, convertis ou non ; les fidèles de la deuxième ou troisième génération ne sont pas intéressés par la gestion du culte ", confirme un bon connaisseur des mosquées.
" Qui finance ces jeunes, qui ne travaillent pas, mais qui distribuent à la sortie des mosquées des tracts ou des ouvrages, décrivant tous les "interdits" de l’islam ? ", s’interroge aussi l’imam, qui déplore " les fatwas venues de l’extérieur ". Car au-delà d’un islam fondamentaliste organisé, voire politisé ou marginalement djihadiste, il constate comme d’autres ce que des observateurs appellent une " salafisation des discours et des pratiques ". Cette lecture de l’islam ne toucherait plus seulement" les paumés, ignorants de l’islam ou les jeunes en recherche identitaire ".
A Montpellier, l’imam doit répondre à des questions qui ne se posaient pas auparavant. " C’est par exemple une jeune fille qui veut se marier mais qui juge que son père ne peut pas être son tuteur, car il ne fait pas ses cinq prières par jour, et est donc, à ses yeux, un "mécréant". Ce sont des jeunes qui me demandent s’ils peuvent acquérir la nationalité française et devenir citoyens d’un pays non musulman ; d’autres qui hésitent à entrer dans l’armée de peur d’avoir à combattre en "terres musulmanes" ; d’autres qui se demandent s’ils peuvent travailler dans les vignes, à cause de l’interdiction de l’alcool en islam. "
A ces demandes, l’imam Khattabi apporte des réponses qu’il juge ouvertes. A quelques exceptions près. " Pour ce qui touche à l’alcool, c’est compliqué, car au final l’alcool tue ", souligne le religieux. De peur d’être " discrédité " auprès de ses fidèles, il s’abstient aussi de serrer la main aux femmes, une pratique de plus en plus répandue. Dans ce contexte, M. Khattabi se veut malgré tout optimiste. " Le temps joue pour nous. La religion n’est pas une drogue ou un refuge ; et, au fil des années, certains se rendent compte qu’ils se sont fait arnaquer. " A la fin de la prière, ce mercredi, une femme intégralement voilée de noir s’engouffre dans une voiture conduite par un homme portant qamis et calotte blanches. L’imam avoue qu’il ne connaît pas ce couple. Le dialogue entre musulmans n’est pas toujours le plus aisé.
Stéphanie Le Bars