Dithyrambique, le président de la Fédération allemande de football a particulièrement apprécié la prestation étincelante de sa sélection, qui s’impose comme une formidable machine à marquer et s’appuie sur un collectif hyperrodé depuis l’ouverture du tournoi. Redoublements de passes, circulation de balle très fluide, rapidité des mouvements, justesse technique : les triples champions du monde ont écœuré les supporteurs de la Seleçao massés à l’Estadio Mineirao de Belo Horizonte. C’était à croire que le joga bonito (le " beau jeu "), ce style très offensif et esthétique, propriété des Auriverde durant une quarantaine d’années, entre 1950 et 1990, était devenu l’apanage de l’équipe de Joachim Löw.
Menant 5-0 après moins d’une demi-heure de jeu, l’Allemagne a notamment inscrit quatre buts en six minutes avec une facilité déconcertante. Durant cette séquence surréaliste, la Nationalmannschaft a opéré en une touche de balle, s’infiltrant dans la surface adverse avec une habileté étonnante. " Tout ce que les Allemands tentaient, cela fonctionnait ", a reconnu amèrement, après la rencontre, Luiz Felipe Scolari, le sélectionneur brésilien.
" C’est l’un des meilleurs matchs de l’histoire de l’équipe d’Allemagne ", a renchéri le milieu Toni Kroos, auteur d’un doublé. Il y a quatre ans, les hommes de Joachim Löw avaient offert un récital, pratiquement du même ordre, contre l’Argentine entraînée alors par Diego Maradona, pulvérisée (4-0) en quarts de finale du Mondial sud-africain. Ironie de l’histoire, l’Allemagne retrouvera l’Albiceleste en finale, dimanche 13 juillet, au stade Maracana de Rio. Une affiche qui rappelle celle de l’édition 1990, où la Nationalmannschaft était venue à bout de l’Argentine par la plus petite des marges (1-0).
Auteure de dix-sept buts depuis le début de la compétition, la sélection allemande se révèle plus adroite devant la cage adverse que lors des Mondiaux 2006 (quatorze réalisations) et 2010 (seize). Elle a marqué deux fois plus de buts que l’Espagne, qui avait affiché un bilan famélique (huit réalisations) lors de son sacre en Afrique du Sud. Parmi les 23 joueurs sélectionnés par Joachim Löw, sept ont marqué sur les pelouses brésiliennes. Avec cinq buts à son actif, Thomas Müller est le plus habile canonnier de sa formation. L’avant-centre Miroslav Klose, 36 ans, a, lui, scoré à deux reprises, battant avec seize réalisations le record de buts inscrits en Coupe du monde, qu’il codétenait jusqu’alors avec le Brésilien Ronaldo.
Lorsque les attaquants ne font pas trembler les filets, ce sont les défenseurs qui prennent le relais, à l’instar de Mats Hummels, qui a permis à son équipe de l’emporter (1-0) face à la France, en quarts de finale. Même les remplaçants prennent part au festin.
" Joker de luxe " de sa sélection, l’ailier de Chelsea André Schürrle a marqué à trois reprises. Ouvrant le score dans les prolongations, le " Blue " a notamment débloqué la situation lors de la laborieuse victoire (2-1) contre l’Algérie en huitièmes de finale. Il a également inscrit les deux derniers buts de son équipe face au Brésil. Ultra-efficace, l’Allemagne ne semble pas pâtir du forfait, avant la compétition, de la fine gâchette du Borussia Dortmund Marco Reus, élu meilleur joueur de Bundesliga cette saison.
Rien ne laissait pourtant augurer un tel festival offensif contre le Brésil. Malmenée par le Ghana (2-2) au premier tour, poussive face à l’Algérie, la Nationalmannschaft avait certes étrillé (4-0) le Portugal lors de son match inaugural. Mais cette correction fut un trompe-l’œil car les Lusitaniens étaient réduits à dix contre onze à la suite de l’expulsion du défenseur Pepe.
Les automatismes entre les joueurs expliquent en partie ce style flamboyant et cette habileté devant le but. Parmi l’effectif actuel de Joachim Löw, onze éléments ont participé à la campagne précédente en Afrique du Sud et cinq ont disputé le Mondial 2006, organisé " à la maison ". La Nationalmannschaft compte dans ses rangs quatre joueurs qui totalisent plus de cent sélections : le capitaine Philipp Lahm, Per Mertesacker, Bastian Schweinsteiger (qui n’a pas encore marqué au Brésil) et Miroslav Klose. Seize des vingt-trois Allemands évoluent en Bundesliga, le championnat le plus prolifique et le plus spectaculaire d’Europe. Sept d’entre eux font le bonheur du Bayern Munich, entraîné par l’Espagnol Pep Guardiola, apôtre d’un jeu métronomique et ancien coach du FC Barcelone.
Jadis encline à décocher des tirs à plus de 30 mètres, l’équipe d’Allemagne a opté ces dix dernières années pour davantage de finesse. Elle a connu une vraie révolution culturelle sous le règne du sélectionneur Jürgen Klinsmann (2004-2006). Adjoint de ce dernier, Joachim Löw a poursuivi dans la même voie au sortir du Mondial allemand. Löw prône lui aussi ce football total permettant à chaque défenseur de se reconvertir en attaquant, un jeu pratiqué par l’Ajax d’Amsterdam dans les années 1970 puis importé en Espagne par la légende hollandaise Johan Cruyff lors de son passage sur le banc du FC Barcelone (1988-1996).
Le patron de la Nationalmannschaft tire par ailleurs les bénéfices du " multikulti ", ce métissage culturel qui prévaut dans la composition de la sélection. Depuis la Coupe du monde de 2010, le technicien s’appuie sur les jeunes Mesut Özil, d’origine turque, et Sami Khedira, né d’un père tunisien et buteur contre le Brésil. Joachim Löw profite aussi du travail de fond réalisé par la Fédération allemande de football pour développer la formation après les fiascos du Mondial 1998 et de l’Euro 2000.
Soutenue au Maracana par plusieurs dizaines de milliers de supporteurs en transe, l’Argentine sera-t-elle la nouvelle victime du rouleau compresseur allemand ? " Vous voulez me faire peur ? ", a rétorqué Alejandro Sabella, le sélectionneur de l’Albiceleste, à des journalistes qui se pâmaient devant le jeu de la Mannschaft.
Quatre ans après leur piteuse élimination en Afrique du Sud, les Argentins espèrent trouver la parade face à la meilleure attaque du tournoi.
Rémi Dupré