L’allégeance entre démocratie et théocratie, les errements du Prince Moulay Hicham: le scandale d’une lecture idéologique

L’article du prince Moulay Hicham « L’allégeance entre pratique démocratique et pratique théocratique » appelle le commentaire suivant quant aux prédicats politiques qu’il soutient et aux conclusions qu’il émet en critiquant d’une manière incohérente le contenu de la première causerie religieuse du mois de Ramadan de cette année 1432 dispensée par le Pr A. Taoufik, ministre des Habous et des Affaires Islamiques.

L’allégeance entre démocratie et théocratie, les errements du Prince Moulay Hicham: le scandale d’une lecture idéologique
De prime abord, l’auteur de l’article prend une position hostile au changement qualitatif réalisé récemment par le Maroc ayant adopté la nouvelle Constitution (du 1er juillet 2011) en exprimant des contre-vérités :

1. il aligne d’abord son pays le Maroc au même rang que les « autres pays de la région arabe » avec le présupposé qu’y existe la violence les mettant à feu et à sang du fait du « phénomène nouveau…éveil de la conscience politique portée par une dynamique sociale puissante ». Cela est inadmissible.

Un tel alignement sans ménagement ni nuance est une contre-vérité, car le mouvement social manifesté a été tout relatif et a abouti à un profond dialogue et à une réforme constitutionnelle qualitative. Ce premier prédicat énoncé opère comme une composante centrale pour un raisonnement précis et pour une conclusion politique plus grave : le rejet du système politique marocain actuel.

2. Il exprime ensuite comme prédicat que « comme partout » au Maroc « le peuple revendique la fin du régime autoritaire et son remplacement par un régime représentatif et démocratique ». La clause de style qu’utilise l’auteur autorise cette interprétation explicite. Or, il s’agit encore une fois d’une contre-vérité car lorsque dans les soulèvements arabes cette revendication exigeait expressément le départ du « régime autoritaire », les manifestants marocains ont clairement soutenu la monarchie et demandé que le roi entame des réformes auxquels le souverain répond par le discours historique du 09 mars 2011 initiant la réforme constitutionnelle du 1er juillet 2011.

Or, l’auteur fait abstraction de cette réalité que la presse mondiale a bien décrite comme une « singularité marocaine » et que l’épaisseur historique de l’Etat-nation marocain explique ainsi que la récente évolution du pays marquée par des réformes préliminaires réalisées consensuellement depuis des décennies.

Des prédicats politiques graves

De tels prédicats politiques ont permis à l’auteur d’oser la plus flagrante et réductrice des démonstrations sur ce qu’il nomme "la clarification du rapport entre politique et religion" comme revendication, associée aux postulats politiques radicaux exprimés.

De ce fait, il monte au créneau en s’attaquant à l’essence du pouvoir monarchique au Maroc. Il prétend que la religion ait servi récemment dans la « bataille » (laquelle ?) et dénie aux Ouléma le droit de manifester…

Mais une telle intrusion sélective du prince, centrée sur la sphère du religieux, prend à dessein la première causerie de cette année ayant eu pour thème « la baï’a », afin de justifier sa position radicale. Sur cette question centrale, il apparait que l’auteur vise à discréditer l’institution de la baï’a en affirmant qu’elle est non démocratique.
II. Des critiques tronquées et des conclusions graves

L’auteur n’a certainement pas suivi la totalité de la causerie précitée et a fortiori n’en a pas relu le texte original, car par probité intellectuelle, il aurait du restituer le raisonnement général du « conférencier » (sic) et éviter de le tronquer, pour en critiquer arbitrairement quelques composantes. C’est pour cette raison que le genre du texte cybernétique commis par le prince relève plus d’un écrit de pure « propagande politique » que d’un corpus à mettre au rang de la critique rationnelle que les normes académiques exigent. Tout le respect du au Prince qu’il demeure, l’on est sommé de répondre parce qu’il s’agit d’un scandale dans la position qu’il vient d’adopter et qu’on ne peut passer sous silence.

1. Le raisonnement tenu par le Pr A. Taoufik démontre que l’institution de la baï’a est d’essence coranique et fonde ainsi la sphère du religieux, mais il traite également toutes les autres composantes sur lesquelles s’est fondé l’Etat-Nation marocain : légales (droit musulman), historiques et politique, tout au long de son expérience millénaire. Chaque composante, avec ses soubassements et l’accumulation du savoir qui en est résulté, a démontré, selon le Pr A. Taoufik, que la baï’a a toujours émané de la société (Nation) et qu’elle constitue un contrat social entre gouvernants et gouvernés.

Le Pr A. Taoufik, un historien de formation, est suffisamment outillé pour non seulement montrer en quoi la baï’a a constitué la pierre angulaire du système politique marocain, garant de la stabilité des pays nonobstant les péripéties mais pour comparer avec l’évolution graduelle produite en Occident vers le système dit démocratique, non uniforme d’ailleurs dans ces contrées.

Or, le Prince Moulay Hicham ampute le raisonnement décliné lors de la causerie en voulant confiner le pseudo débat dans la réduction de la baï’a à un modèle simplement théologique, alors que la « praxis » historique avérée démontre le contraire quant à ses manifestations « procédurales » et à ses exercices, d’une dynastie à une autre et d’un règne à un autre.

Une telle indigence disqualifie l’auteur de la critique qui a usé de démonstrations arbitraires concernant un sujet pour lequel il est loin d’être scientifiquement armé.

Il le démontre bien quant aux autres éléments de sa « critique » :

2. Le prince soutient grosso modo et d’une manière implicite, qu’il n’y a point d’égalité dans le contrat social de la baï’a et conclut pèle mêle à la condition de « servilité », de « prédation de ressources »… liées à l’exercice de la baï’a.

En effet, lorsque le Pr. A. Taoufik décrit l’institution de la baï’a en ayant décliné tout le référentiel des éminents jurisconsultes bien « véritables » (sic, le prince) et mesure la portée contractuelle (synallagmatique) de la baï’a, dont le droit romain a balisé les bases pour le droit canonique occidental, il conclut, à juste titre, à l’existence de la similitude des fonctions pérennes de l’Etat comme garant de la paix civile pour la société dans les deux modèles.

Mais, le Prince a sciemment omis de citer l’imam Ach-chatibi (jurisconsulte sunnite malékite) dans son traité, les Mouafaqate, que le Pr. A. Taoufik décline pour décrire lesdites fonctions régaliennes étatiques, car le Pr. A. Taoufik ne les invente pas pour les besoins de cause. Or, cet élément religieux décrit dans l’article dans l’article du prince est un religieux devant être confiné à une sphère purement cultuelle (piété), alors qu’il a été de son avis indument jeté dans « la bataille » référendaire. C’est pour cela qu’en l’absence de probité intellectuelle le prince s’est engagé dans une errance grave, et de ce fait engage également le débat à propos de la sphère religieuse, à tort, dans une inclination radicale similaire aux mêmes élans qui avaient animés l’anti-cléricalisme en occident.

2. Le Pr. A. Taoufik, ayant démontré que l’institution de la baï’a, par son caractère légal fondateur de l’Etat-Nation au Maroc et sur la base d’un continuum historique avéré (les quatre légitimités), il est permis de considérer que cette institution est le socle de la Constitution du pays, dès lors qu’elle concilie tradition et modernité qu’exige tout processus et construit démocratique. La Constitution nouvelle dont le Maroc s’est doté en 2011 grâce à Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui a vite répondu à l’élan populaire de février – dont le prince ne souffle le moindre mot – avec ses 180 articles réalise en effet un saut qualitatif en exprimant à la fois le continuum de la longue durée historique (baï’a) et les exigences de « gouvernance » dans les rapports de gouvernants à gouvernés. Il fallait respecter le raisonnement du Pr. A. Taoufik si le prince devait respecter l’objectivité avant d’en proposer une critique éventuelle.

3. Or, là où il y a évolution qualitative, l’auteur de l’article insipide voit des « manipulations ». Que faire pour le prémunir contre le strabisme ? Alors qu’il suffit de lire les 180 articles de la nouvelle Constitution pour se rassurer des garanties formelles et des multiples institutions susceptibles d’assurer le bonne mise en place des principes. Comment le convaincre de si loin d’où il parle, qu’un profond travail consensuel a été effectivement opéré pour élaborer le nouveau texte constitutionnel, avec toutes les forces vives du pays et que l’idée d’ « octroi » est bien obsolète : la nouvelle Constitution a été le résultat d’une large et inédite consultation qui a allié principe participatif démocratique et principe de « choura » que la baï’a exige légalement.

Le Pr. A. Taoufik a eu raison de faire la corrélation entre baï’a et Constitution car elle est établie et elle constitue le centre nodal du système politique marocain.

Si un texte constitutionnel renvoie à la « démocratie procédurale », quel que soit le pays, la réalisation de la « démocratie substantielle » (Voir H.Van Hayek) exige des efforts pratiques quotidiens par la volonté de tous, apaisée et civile. Des errements qui crient à l’imminence du déluge ou au « grand soir » blanquiste, n’y font rien.

Reste l’énoncé le plus contradictoire mais surtout le plus grave que décline le prince.

Après avoir littéralement rejeté le modèle de la baï’a comme précepte coranique, cumul de précédents légaux et historiques, car de son avis assimilé à une modalité d’exercice du pouvoir non démocratique, le prince se ravise curieusement en fin de parcours pour proposer de « démocratiser » la baï’a (elle n’est pas du tout démocratique à ses yeux) par le fait de soumettre l’acte d’allégeance au vote parlementaire. Une telle procédure suppose qu’elle soit inscrite dans le texte de la constitution pour relever des prérogatives du Parlement. C’est faire table rase de tout l’édifice constitutionnel qui vient d’être réalisé.

Une attribution parlementaire de ce genre suppose l’inscription dans le texte constitutionnel et de considérer le parlement comme le lieu suprême de la souveraineté : le régime d’assemblée est-il aux yeux du prince le régime idéal auquel il nous convie ? On connaît les graves précédents dans le monde alors que la constitution marocaine accorde la souveraineté à la nation entière qui « l’exerce directement par referendum et indirectement par les institutions représentatives ».

C’est également une grave proposition qu’on qualifierait de néophyte, si l’on oubliait le précédent français du XIXe siècle ayant soumis le choix de régime au vote d’une assemblée ayant conclu à la république par 1 seule voix.

Proposition révélatrice d’un anti- monarchisme viscérale et dessein grave pour un citoyen qui, de si loin, est supposé aimer son pays mais qui l’exprime d’une drôle de manière et loin des réalités.

Hakim EL Ghissassi;
Spécialiste de la laïcité et des droits des cultes
Auteur de « Regard sur le Maroc de Mohammed VI », Michel Lafon 2006

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