Si subversive que l’ensemble du débat politique dans la plupart des pays européens se trouve subitement configuré autour des lignes de fractures de cette crise migratoire. Il ne s’agit plus de savoir si telle personnalité, telle force politique est de gauche ou de droite, libérale ou conservatrice, européen ou europhobe . On scrute son positionnement pour savoir si elle fait partie des voix qui dénoncent l’ouverture à l’accueil des réfugiés ou des immigrés où si elle est de celles qui appellent à cadenasser les espaces et à verrouiller les frontières.
Et cette ampleur politique est si concrète que dans de nombreux pays les sanctions commencent à se payer cash. Le dernier exemple est l’Italie où les forces antisystème ont carrément accédé au pouvoir sous l’effet destructeur de cette crise migratoire. Avant, l’Allemagne d’Angela Merkel a vu ses fondamentaux remis en cause par l’accès historique de l’extrême droite au parlement allemand. Aujourd’hui la chancelière dont la quatrième mandat chancelle à vue d’œil est obligée de se battre avec son ministre de l’Intérieur pour éviter les solutions les plus radicales et extrêmes. Bien avant l’Autriche et les pays de l’Europe de l’Est ont pris le maquis contre la politique migratoire de Bruxelles et organisent une désobéissance régionale à l’Europe.
Pour la France d’Emmanuel Macron, cette crise migratoire a l’effet d’un choc dévastateur sur l’enthousiasme et le rêve français pour l’Europe. Le message de son élection a été perçu et interprété comme un coup d’arrêt français à la montée des populismes dans le sillage du Brexit et de l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche. Emmanuel Macron fut célébré partout comme l’incarnation de cette capacité française à résister à ce rouleau compresseur des extrêmes. Or le pari du président français fut mis à rude épreuve par deux éléments essentiels. L’un politique, l’autre factuel.
Le premier est la faiblesse de sa partenaire dans le projet de réforme de l’Union européenne, Angela Merkel. Emmanuel Macron a toujours affirmé que pour battre les forces extrémistes et les empêcher d’accéder au pouvoir, il faut impérativement re dynamiser le projet européen, réécrire ses ambitions pour que les citoyens européens ne retombent plus dans l’obsession identitaire nationale qui impliquent xénophobie fermeture et rejet de l’autre. Le plafond fixé par le président français dans ses nombreux discours notamment en Grèce ou celui devenu référence de la Sorbonne est si haut que son allié allemand, pourtant indispensable à toute relance, semble caler sous le poids des résistances internes. Sur le projet de l’impérieuse réforme comme antidote à l’explosion des populismes, Emmanuel Macron s’est retrouvé seul à prêcher dans un désert peuplé de sourds.
Le second élément factuel qui a fini par dérégler les ententes européennes a trait avec les multiples impacts de l’affaire de bateau l’Acquarius. En l’absence d’une gestion collective de cette crise, les égoïsmes nationaux ont repris le dessus au point de donner lieu à une crise dans les rapports entre Paris et Rome inédite dans leur histoire contemporaine. Des tentatives de la gommer ont bien été là avec la visite de Giuseppe conté président du conseil italien à Paris, mais les divergences enrobées de coups de sang ont laissé des sillons.
Emmanuel Macron n’est pas sorti indemne de cette crise. Si son silence pour ne pas accueillir ce bateau d’immigrés et de réfugiés fut salué par l’extrême droite de Marine Le Pen et une partie de la droite de Laurent Wauquiez, il donna lieu à une indignation soutenue à gauche et plus grave à une libération de la parole dans la propre famille du président de la république. Cette frange critique, voire limite frondeuse, s’étonne que le président de la république n’ait pas mis exceptionnellement les considérations humanitaires au dessus de la gestion purement politique de cette crise. Sur ce sujet, l’image du président fut écornée.
Cette crise migratoire impose aux pays européens un triple défi à traiter dans l’immédiat. Le premier est d’essayer de construire une approche européenne commune pour gérer cette crise qui empêcherait des pays comme l’Allemagne du ministre de l’intérieur Horst Seehofer, ou l’Italie de Matteo Salvini ou l’Autriche de Sébastien Kurz de vouloir faire cavalier seul en tentant de recréer « les pays de l’axe « pour lutter contre l’immigration. Cela passerait par la réforme des accords du Dublin qui gèrent le droit d’asile en europe et qui font peser sur les Pays de premières arrivées tous le poids économique et sécuritaire de cette crise. L’Italie et la Grèce et l’Espagne , pays limitrophes souffrent de cet handicap et juge la solidarité européenne insuffisante à leurs égards.
Le second défi est de s’impliquer d’avantage dans la résolutions des crises régionales qui nourrissent l’afflux de réfugiés vers l’Europe ou qui encouragent les réseaux de passeurs à s’activer dans ce domaine. La France d’Emmanuel Macron a déjà identifié la Crise libyenne comme une source de tensions et de déstabilisation. D’où son implication politique et diplomatique à trouver une solution à la dispute autour du pouvoir dans ce pays pour recréer un pouvoir central capable de faire la chasse aux groupes terroristes et aux réseaux mafieux qui alimentent l’immigration clandestine et le déplacement de population.
Le troisième défi est de tenter d’établir une vraie politique de coopération et d’aides économiques avec les pays africains dont les jeunes populations tentent la mésaventure souvent mortel de la traversée de la Méditéranée qui au fil des mois se transforme en un vrai cimetière pour des jeunes venus d’Afrique à la poursuite d’un rêve européen. Les enjeux de ce défi sont souvent inaudibles pour les opinions européennes car il s’agit d’un investissement dans le temps et sur la structure pour lancer des projets économiques ambitieux sur les territoires africains qui donnent à cette jeunesse africaine les raisons de se fixer dans leurs pays et qui rendent les tentatives d’immigration moins attractives.