Après Bouteflika, qui sortirait du képi ?

Alors que le président algérien est hospitalisé depuis un mois à Paris, le flou règne sur son état comme sur une succession.

Après Bouteflika, qui sortirait du képi ?
Toujours pas la moindre image du Président un mois après son hospitalisation au Val-de-Grâce puis en convalescence aux Invalides. Les rumeurs les plus alarmantes sur son état de santé s’entrechoquent avec les plus rassurantes distillées par son entourage proche. Peut-on d’ores et déjà parler d’une succession ? Que trahit cette absence de communication à la tête du pouvoir ?

Pour Mohamed Chafik Mesbah, ancien colonel des services secrets, aujourd’hui politologue : «Le système politique algérien, comme l’a dit un jour un ambassadeur américain en poste à Alger, est une boîte noire avec des gens à l’intérieur, mais qui ne savent pas comment fonctionne la boîte.» Et l’ex-officier, qui est resté proche des milieux militaires, d’ajouter : «Tous les observateurs de la politique algérienne tentent d’arracher le secret du fonctionnement du sommet de l’Etat, mais ils se heurtent à un mur invisible. Ce qu’on voit depuis quinze jours, c’est une communication prise dans les phares des médias, en état de panique.» Une paralysie qui toucherait aussi, par ricochet, la diplomatie française. «Paris ne veut surtout pas se mettre les Algériens à dos et insulter l’avenir. Cela donnerait l’impression que l’Algérie ne compterait plus, ou pas assez, sur la scène internationale», poursuit le politologue. Même si le pays s’est ressoudé derrière son armée après les événements d’In-Amenas, en janvier.

PAR JEAN-LOUIS LE TOUZET

«Des têtes vont tomber». «Le Président, même en cas d’empêchement pour maladie[il serait remplacé par le président du Sénat, ndlr],sera épargné par les affaires qui touchent son entourage, et surtout son frère Saïd», avance-t-il. Mais en cas de disparition ? «Dès que le protecteur ne sera plus, il y aura un nettoyage, des têtes vont tomber. Elles sont réclamées par la rue. Tous ces milliards spoliés, envolés, dispersés, engloutis, détournés… Il y a un besoin d’un retour à une morale.» De sorte que certains portent déjà l’idée d’«un gouvernement de salut public» conduit par… Lamine Zeroual, 71 ans.

L’ancien militaire et ancien président, fort d’une image d’incorruptible, vit aujourd’hui totalement retiré de la vie politique avec ses 3 000 euros de retraite. Chafik Mesbah reprend avec insistance l’hypothèse Zeroual, donnant au passage peu de crédit aux possibles candidatures des anciens Premiers ministres Ali Benfils ou encore Mouloud Hamrouche, qui connaissent parfaitement le fonctionnement de l’Etat. «Je ne vois aucun homme aujourd’hui qui se dégage, aucun ne fait consensus, ni chez les laïcs ni chez les islamistes. Le seul, c’est Lamine Zeroual, qui aurait pour mission de recoudre un tissu social mangé par la corruption», imagine Mesbah, que l’on sent travaillé par l’idée d’un recours à l’homme providentiel.

Tous n’en sont pas convaincus. «L’hypothèse Zeroual me paraît étrange. C’est un peu "retour vers le futur". On parle d’un homme marqué par l’époque de la décennie noire. Ou alors c’est un ballon d’essai», explique Pierre Vermeren, universitaire spécialiste du Maghreb contemporain. Au-delà de l’homme élu, le défi sera aussi «de modifier ce système qui repose sur la rente pétrolière et cette économie centralisée. Ce modèle crache de l’argent et cette rente fait tenir l’ensemble». Vermeren assure que, pour le moment, «les Algériens sont contrariés d’avoir un président sur le retrait alors que Bouteflika est un personnage séducteur adopté par la population». Il dresse au passage le portrait d’un successeur : «Il devra être compatible avec les forces islamistes et les pays du Golfe, les nationalistes, le Front de libération nationale – qui rentre en congrès le mois prochain -, et le Rassemblement national démocratique [ces deux partis sont les béquilles du pouvoir algérien, ndlr], être agréé par les services secrets, l’armée, ne pas faire peur aux milieux financiers, ne pas être en froid avec Paris, les Etats-Unis, tout en sachant parler au peuple. C’est un mouton à cinq pattes que l’Algérie doit trouver, et qui ferait aussi consensus à la tête de l’oligarchie.» Pierre Vermeren conclut qu’il y aura d’ici là bien des coups de théâtre et que la pièce pourrait être plus longue qu’annoncée alors que «l’Algérie attend une nouvelle génération. C’est pourquoi l’hypothèse Zeroual me laisse dubitatif». Reste, dit-il, que les Algériens, pas dupes, «savent que le système perdurera».

Chantier. Benjamin Stora, historien spécialiste de l’Algérie, se garde bien d’évoquer une quelconque candidature pour succéder à Abdelaziz Bouteflika : «On peut toujours échafauder des hypothèses avec l’Algérie, mais c’est souvent celle à laquelle personne n’avait songé qui se dégage.» Quel que soit l’homme qui sera choisi par les «décideurs», le chantier qui s’ouvre sera d’ampleur. «Il reste à construire une économie réelle qui ne repose pas sur la rente. Aujourd’hui, la population est excédée par les coupures d’eau, de courant, les libertés écornées, mais le pays vit en paix. Et la paix, c’est Bouteflika, le dernier représentant de la génération des hommes qui ont participé à la guerre d’indépendance, celui qui a réussi la synthèse de plusieurs mondes, notamment entre le nationalisme arabe et l’espace francophone», conclut Stora. Kamel Daoud, le plus brillant et aussi le grinçant des chroniqueurs du pays, avait, dans une chronique publiée dans le Quotidien d’Oran, résumé d’une phrase les années Bouteflika : «Un régime alité en convalescence depuis une décennie.»

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