Tout a commencé à New York, à l’automne. «Nous discutions des problèmes économiques que rencontraient les habitants de quartiers populaires, et ils se plaignaient de salaires insuffisants dans les fast-foods, les seuls emplois disponibles. Certains disaient vivre dans des foyers pour sans-abri, d’autres dans leur voiture», raconte Jonathan Westin, militant à la tête de New York Communities for Change. Ces révoltés des fast-foods se sont inspirés de la campagne menée depuis 2011 par les travailleurs de Walmart pour de meilleures conditions de travail, et ont lancé en novembre une journée de grève. «La première jamais organisée dans les fast-foods», estime Westin. Les revendications ? Un salaire décent. Et la défense des droits des travailleurs dans un secteur où la culture syndicale est inexistante, entre autres à cause d’un turnover très élevé.
«Peur». Des employés de McDonald’s, KFC, Domino’s, Wendy, Burger King ou encore Taco Bell ont créé des groupes d’action locaux. Ils se nomment Fight for 15 à Chicago, Detroit 15 ou Low Pay Is Not Ok et reçoivent le soutien financier de syndicats comme l’Union internationale des employés du service. «Je travaille dix-neuf heures par semaine, de 20 heures à 4 heures du matin, non négociables. Toutes les deux semaines, je reçois 300 dollars, sans assurance maladie [obligatoire au-delà de trente heures par semaine depuis la réforme d’Obama, ndlr]», raconte Jonathan Lamb, 24 ans, employé de la chaîne Checkers, dans la banlieue de Detroit. Il a découvert le mouvement sur Facebook. «Nous sommes quatre à y participer là où je travaille, les autres ont peur de perdre leur emploi, dit-il. Moi, je m’en fiche, je n’en peux plus.» Il emprunte de l’argent à des proches et cherche un second emploi pour tenter de s’en sortir. Si la contestation grossit, l’industrie des fast-foods ne bouge pas d’un iota. McDonald’s et Burger King se sont fendus de communiqués de presse disant qu’ils ont servi de porte d’entrée dans la vie active à des millions d’Américains et que leurs salaires s’alignent avec ceux du secteur de la restauration. Scott DeFife, vice-président de l’Association nationale des restaurants, estime qu’un taux horaire à 15 dollars entraînerait une baisse des embauches et que «80% des propriétaires de restaurants ont commencé ainsi, payés à l’heure». Seule avancée des travailleurs des fast-foods : avoir relancé le débat sur le salaire minimum. McDo les a aidés malgré lui via un outil en ligne censé aider ses employés à calculer leur budget. Sauf qu’il part du principe que pour boucler les fins de mois avec un salaire McDonald’s, il faut… deux emplois. «McDo admet lui-même que ses salaires ne permettent pas de vivre», réagit David Cooper, économiste à l’Economic Policy Institute.
Profits. Fin juillet, Barack Obama s’est déclaré en faveur d’un salaire minimum à 9 dollars. 71% des Américains soutiennent une telle hausse. Une centaine d’économistes ont fait circuler une pétition pour soutenir un membre du Congrès qui milite pour un salaire de 10,5 dollars… En attendant, les fast-foods enregistrent des profits records. Le groupe Yum ! Brands, propriétaire de KFC, a vu ses marges augmenter de 45% entre 2007 et 2011, et McDonald’s de 135%. «Ce mouvement parle à tous ceux qui sont payés au minimum, dans la vente, la restauration, le service, dit Cooper. Il révèle les inégalités de richesses qui n’ont cessé de grandir depuis la crise, comme le dénonçait Occupy.»
Depuis la fin de la récession, en 2010, les emplois à bas salaire ont augmenté trois fois plus vite que les autres. 60% des 5,9 millions d’emplois créés depuis lors sont payés moins de 14 dollars de l’heure selon le National Employment Law Project. «On devient une économie de bas salaires, estime Jonathan Westin, de New York Communities for Change, où les gens n’ont pas de quoi vivre ni consommer.» «En valeur, le salaire minimum est aujourd’hui plus bas que dans les années 60, sauf dans une dizaine d’Etats, qui ont choisi de l’indexer sur l’inflation», conclut David Cooper.