Tunisie: Zitouna TV, islam de fond

Tunisie . La première chaîne islamique, qui se dit indépendante mais reste pour beaucoup la télé d’Ennahda, fait de plus en plus d’émules.

Ça sent encore la peinture par endroits, dans les locaux de Zitouna TV, et les journalistes doivent squatter où ils peuvent. Voilà une semaine que la chaîne a pris possession de son nouveau QG, dans la zone industrielle de Charguia, à Tunis. Au fond, le studio est presque prêt. «On va essayer d’en construire d’autres, projette déjà Khaoula ben Gayesse, l’une des présentatrices vedettes, qui fait la visite. On veut aussi ajouter deux étages.» A la mesure des ambitions de la jeune télé : lancée il y a huit mois seulement, Zitouna («l’olive») veut bousculer un paysage audiovisuel en plein bouillonnement. C’est la première des télés islamiques.

Design léché. «Notre ligne éditoriale est bien claire : nous sommes une chaîne généraliste conservatrice, destinée à la famille tunisienne. Nous avons des marqueurs rouges que les autres médias, occidentalisés, n’ont plus. Nous, on ne diffuse pas d’images qui nuisent à nos traditions», expose Sami Essid, cofondateur de la chaîne avec Oussama ben Salem. Même «les relations de travail sont islamiques, explique un employé. On se respecte, on fait tous la prière ensemble». Dans l’équipe, très jeune, plusieurs ont fait leurs armes sur Momkin TV, une web-télé lancée sur Facebook en février 2012 par «l’Union des pages révolutionnaires» – tendance islamiste. Momkin TV a fini par fusionner avec le projet Zitouna. Diffusée par satellite depuis Bahreïn, Zitouna est encore très active sur le réseau social, où elle compte 73 000 «fans» (lire ci-contre).

Débats politiques, émission sur la finance islamique ou retransmission d’un mariage collectif : la télé, au design léché, fonctionnait jusque-là au coup par coup, mais doit se doter, au cours du mois, d’une véritable grille de quinze émissions. Elle aura même son JT quotidien, juste avant 20 heures. Les programmes religieux, «encore à l’étude», représenteront «15 ou 20% du temps», précise Sami Essid.

Dans la lignée de la politique gouvernementale, Zitouna veut «faire évoluer vers la modération» et estime que «le problème des salafistes n’est pas seulement sécuritaire, mais aussi intellectuel. Sa résolution passe par ce type d’émissions», argumente Oussama ben Salem. Sont invités aussi bien des membres du parti moderniste Nidaa Tounes, qu’Ennahda a longtemps boycotté sur les plateaux, que Khamis Mejri, un leader jihadiste virulent envers le parti islamiste. Parmi les reportages diffusés dernièrement, l’un s’intéresse aux violences policières lors d’une manifestation, un autre interroge une fillette de 3 ans, voilée, qui dit vouloir apprendre le Coran.

Zitouna passe aux yeux de beaucoup pour être «la télé d’Ennahda». Oussama ben Salem est le fils du ministre de l’Enseignement supérieur, figure historique du mouvement islamiste. Lui-même a été élu à la Choura, la haute assemblée du parti. «Notre petite expérience montre que nous sommes indépendants, rétorque-t-il. N’importe quel ministre peut être critiqué.» Ennahda, souvent très remonté contre les médias, assure de son côté «ne pas chercher à avoir des organes partisans». Mais assume «une stratégie pour encourager les gens crédibles, honnêtes et révolutionnaires à entrer dans le domaine, pour faire le contrepoids, explique Fayçal Nasr, le numéro 2 de la communication du parti. On incite nos jeunes à ne pas laisser les médias aux hommes d’affaires, aux ennemis de la démocratie, à arracher leur place et à changer la scène médiatique».

«Cadre légal». Zitouna n’est d’ailleurs pas la seule à l’investir. Al Insen («l’humain»), dirigée par le jeune cheikh Ghassen, proche du prédicateur salafiste Bechir ben Hassen, diffuse quelques programmes depuis le mois d’août. Al-Qalam («la plume») a lancé le 14 janvier sa première émission. Centrée sur la variété, elle se veut «modérée» et «respectueuse de la culture arabo-musulmane du pays», souligne le directeur, Achraf Abdelmaksoud. Deux autres chaînes d’info, Al-Mutawasit et T.N.N., nient toute étiquette mais sont classées par les pages Facebook islamo-révolutionnaires comme des chaînes «vertueuses».

Toutes émettent illégalement, comme la quinzaine de chaînes créées après la révolution : elles ont leurs studios en Tunisie, mais diffusent par satellite depuis le Golfe. Même Attounsiya, la chaîne la plus regardée, rangée dans l’opposition, fonctionne ainsi. «C’est la conséquence du manque de volonté politique de créer un cadre légal», déplore Larbi Chouikha, membre de l’ex-instance de réforme des médias, qui s’inquiète aussi de l’opacité du financement de ces chaînes.

Le gouvernement tunisien tergiverse depuis plus d’un an sur la création d’une Haute Autorité de l’audiovisuel, qui serait chargée de délivrer les autorisations. Elle est censée voir le jour prochainement. En attendant, estime Sami Essid, de Zitouna, «nous sommes devenus une réalité, ils ne peuvent plus nous interdire».

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