La tradition du comique involontaire n’est pas nouvelle dans la gouvernance algérienne. Une des plus récentes et des plus célèbres incarnations fut l’ancien premier ministre Abdelmalek Sellal, actuellement en prison. Durant son mandat, il enchanta les réseaux sociaux par ses bourdes et ses maladresses. Avec le président Abdelamjid Tebboune, le comique involontaire est porté à un niveau professionnel rarement atteint. Jusqu’à devenir une marque de fabrique, un label reconnaissable du style Tebboune dans sa communication politique. Avec Tebboune, le comique devient régulier et prévisible.
A chaque intervention télévisée, ou à chaque intervention tout courte, le président Tebboune provoque un éclat de rire général avec ses affirmations grotesques et ses certitudes approximatives, voire mensongères. Abdelamjid Tebboune parle aux Algériens et au monde comme s’il n’y avait aucune possibilité de vérification de la chose dite. Il suit la sacro-sainte règle : plus c’est gros, plus ça passe.
Abdelmajid Tebboune avait provoqué un sarcasme mondial en traitant Vladimir Poutine d’ami de l’humanité. Dans sa stratégie de courtisan international, il cherchait à impressionner le président russe Vladimir Poutine et à manifester l’épaisseur de l’admiration qu’il lui voue. Forcer le trait a fini par produire une hilarité générale et à faire passer Tebboune pour un héros de cette comédie qui caractérise les relations entre Alger et Moscou.
Récemment, évoquant les capacités algériennes de dessalement de l’eau, Tebboune lance des chiffres qui affolent la toile au point de devenir une mascotte rigolote des réseaux sociaux. Il l’a déjà été au moment où il avait affirmé que l’Algérie disposait du meilleur système de santé pendant la pandémie du Covid, vite démenti par sa décision personnelle ainsi que de son élite militaire d’aller se faire soigner à l’étranger chaque fois que le besoin se fait sentir. Il est définitivement entré dans le top des trends des plus comiques quand il affirme sans rire que l’Algérie est devenue une puissance efficace, alors que les nombreux échecs économiques et diplomatiques isolent le pays. Comme en témoigne de manière visuel la rareté de produits de première consommation.
Sa sortie risible sur les lentilles et les haricots blancs et le complot ourdi contre les Algériens pour les en priver, l’a installé définitivement dans le podium des chefs d’œuvre du comique involontaire. Outre que la commercialisation de ces produits sont le monopole des entreprises de l’Etat, le président algérien invoque ici une culture du complot fantasmé pour masquer une réalité amère .
La force clownesque des prestations du président Tebboune est augmentée par le fait que cela intervient dans des émissions de télévision enregistrées, où la censure militaire a déjà fait son œuvre. Que le visionnage de ces interventions laisse passer des postures et de chiffres aussi fantaisistes en dit long sur la compétence et l’expertise du staff qui gouverne l’Algérie.
Pour certains, la dose comique aurait été plus importante si jamais le président algérien était en direct dans ses interventions télévisées. Ce qu’il ne fait jamais de peur de se livrer à des dérapages incontrôlés. Un Tebboune en direct à la télévision a de fortes chances de ressembler à un spectacle de stand up digne du Jamel comedy club. Les punchlines et les grossiers mensonges risquent de fuser à volonté.
Le style Tebboune est très particuliers. Son phrasé composé d’arabe dialectal algérien, saupoudré de français produit des intonations de voix qui se suffisent à elle-même pour déclencher les sourires. Certains y voient la forme accomplie du populisme et de la démagogie d’un homme qui n’a aucun programme politique mais capable de vendre du vent à son opinion. D’autres y décèlent une incompétence politique et gestionnaire structurelle qu’on essaie de dissimuler sous le vernis de la provocation permanente.
Dans son domaine, le président Tebboune, longtemps ministre éteint et invisible pendant l’ère de Bouteflika, est devenu une star incontournable de la politique algérienne. Non pas pour incarner la performance et l’efficacité mais plutôt les délires et les excès d’un homme définitivement fâché avec les chiffres et qui s’entête à inventer une réalité algérienne devenue source de sarcasmes et de moqueries à l’échelle mondiale.