Et si, là tout de suite, avant le premier tour, l’ennemi n’était plus Nicolas Sarkozy, mais les sondages (et les airs satisfaits qu’ils procurent à certains socialistes à quatre jours du but). Craignant le retour de boomerang électoral dimanche, François Hollande bataille comme un diable depuis le début de la semaine. La démobilisation ? «Oui, elle est possible», prévient le candidat socialiste à l’Elysée dès son arrivée hier à Montataire, dans l’Oise, où il vient rencontrer les salariés de l’usine Still Saxby, menacée de délocalisation en Italie. «Je vois ce climat qui s’organise, qui se diffuse. La droite y contribue qui laisserait penser que ce n’est pas la peine d’aller voter.» Un «piège», insiste François Hollande.
Les études d’opinion le donnent vainqueur au soir du 6 mai depuis des mois. Mais le recroisement des courbes du premier tour inquiète le camp socialiste. Mi-mars, «quand Sarkozy était repassé devant, ça avait bien refoutu la trouille à tout le monde. Ça nous avait réveillés», glisse un proche du candidat. Mardi soir, le dernier sondage CSA pour RMC-BFM-20 Minutes – qui place Hollande en tête à 29% et relègue Sarkozy à cinq points (24%) au premier tour – est tombé sur les smartphones du staff de campagne dans le TGV qui ramenait dirigeants, militants et journalistes du grand meeting de Lille. Dans la voiture-bar, on entend le «dircom», Manuel Valls, lâcher «c’est trop», craignant moins l’abstention que la dispersion des voix à gauche. Et hier matin, au désespoir de l’équipe de campagne, Daniel Cohn-Bendit a carrément asséné sur Canal + : «Je pense que François Hollande a gagné.»
«Intuitions». En attendant leur candidat entre deux cerisiers du Japon aux fleurs détrempées, les sympathisants socialistes de l’Oise affichent une assurance bien plus relative. «Le 21 avril 2002 reste dans nos têtes. Depuis, les gens ne pensent plus jamais que c’est gagné d’avance», explique une jeune femme venue avec sa mère. «Il faut dire qu’on va gagner avec modération», conseille Didier, militant PS depuis 1962. «Les gens ont perdu confiance dans leurs intuitions, et ils ont une confiance modérée dans les sondages», confirme Laurence Rossignol. Mais la démobilisation, la sénatrice de l’Oise n’y croit pas : «Cela touche celui qui est donné perdant. A gauche, les gens ont envie de participer à la victoire.»
Pour ce dernier déplacement thématique avant le premier tour, Hollande revient sur le terrain industriel. Un moyen de tenir une promesse – il avait annoncé aux ouvriers de Still Saxby, qu’il a déjà rencontrés deux fois en six mois, qu’il reviendrait les voir sur leur site – et de marquer son terrain à gauche face à Jean-Luc Mélenchon, venu soutenir les salariés cet hiver. L’entreprise, qui fabrique des chariots élévateurs, appartient au groupe allemand Kion, dont les deux actionnaires de référence sont un fonds d’investissement et la banque américaine Goldman Sachs. Kion a annoncé la fermeture en juillet de l’usine qui emploie 255 personnes, proposant de reclasser les salariés à Châtellerault (Vienne) ou en Italie.
Sous le plafond seventies de la salle de la Libération, le candidat socialiste redéroule ses propositions pour «redresser l’industrie» et en ajoute deux nouvelles : réserver «exclusivement» aux salariés les procédures de rachat par endettement (les LBO) des entreprises, utilisées par les grands groupes financiers, et créer un «pôle productif» au sein du gouvernement, qui ferait le lien entre les différents ministères. Justement, le délégué CGT réclame un «vrai ministre de l’Industrie». Pas un qui «surfe sur la vague bling-bling, capable de faire 50 tweets pendant une réunion» comme l’ancien socialiste Eric Besson.
«Traître». L’occasion est trop belle pour François Hollande de régler ses comptes avec ceux qui, à gauche, ont cédé aux sirènes de l’ouverture sarkozyste. Dont certains reviennent au bercail dans la dernière ligne droite. Il le fait toutefois de manière bien sélective. Jean-Pierre Jouyet, son ami de quarante ans, ex-ministre des Affaires européennes et président de l’Autorité des marchés financiers, est «parti au bout de quelques mois», Martin Hirsch «au bout de deux-trois ans» et Fadela Amara «n’est plus membre du gouvernement». Quid d’Eric Besson ? «Le destin de traître, ça vous poursuit toute votre vie», balance le candidat socialiste. Et Bernard Kouchner ? «Je ne cherche personne. A eux de savoir à travers leur conscience ce qu’il faut faire, mais certains n’ont même plus de conscience.»