Les élections le mois prochain en Tunisie vont mettre sur le devant de la scène la question de la place des partis islamiques dans les nouvelles institutions.
Les révolutions qui ont mis à bas les régimes de Ben Ali en Tunisie et celui de Moubarak en Egypte ne se sont pas faites au nom de l’islam. Les mots d’ordre étaient ceux d’une société civile sécularisée : liberté, fin de l’autocratie, refus de la corruption, du népotisme, de la misère sociale, du chômage. Est-ce à dire que l’islam n’y a joué aucun rôle ? Les analyses précédentes, qui limitaient leur champ au face à face entre régimes autoritaires et islamistes, étaient-elles totalement biaisées ?
Est-ce à dire que tous ces partis acceptent de soumettre l’islam à des règles édictées par des hommes ?
Nous sommes ici au milieu du gué. Car il existe bien une course contre la montre entre deux dynamiques. La première prend en compte la fonction puissamment sécularisante du fait, pour un mouvement religieux, de se transformer en parti politique. Un processus que les catholiques de France ont bien connu. Une conséquence de la participation des islamistes au jeu politique est leur division, plus en Egypte, patrie des Frères musulmans, qu’en Tunisie où le mouvement EnNahda, qui proclame avoir l’AKP turque pour modèle, rivalise de professions de foi démocratiques.
En Egypte, les Frères musulmans ont donné naissance à quatre principaux partis islamistes. Ces partis sont présents dans les deux principales coalitions formées en vue des prochaines élections législatives, normalement prévues à partir de novembre 2011. On y retrouve un large éventail de sensibilités, depuis les admirateurs de l’expérience turque jusqu’aux salafistes. En effet, face aux Frères musulmans, encouragés par le Qatar et le populaire téléprédicateur Yûsef al-Qaradawi, l’important courant salafiste (dont certains Frères), reproche à ces derniers de s’être compromis dans un jeu politique non-islamique.
Soutenus par l’Arabie saoudite, qui est devenue l’épicentre de la contre-révolution dans le monde arabe, leur programme ne prévoit pas d’autre constitution que le Coran et défend une stricte application de la sharî’a.
Chaque jour qui passe semble cependant renforcer l’acceptation des règles d’un Etat de droit, notamment sous la pression des plus jeunes parmi les Frères ou même les salafistes.
Un Copte peut-il devenir président de la république ? Ou être ministre ? Les femmes peuvent-elles avoir un statut d’égalité en droits avec les hommes ? Autant de questions passionnément débattues aujourd’hui au Caire autour d’une interrogation centrale : les citoyens égyptiens doivent-ils être égaux en droits ? Quelle place doit avoir la religion ? L’islam doit-il être la religion de l’Etat ? Il est encore trop tôt pour savoir quelle dynamique prévaudra sur l’autre, même si l’emballement de l’histoire dans le monde arabe est aussi l’expression de sociétés en pleines et rapides mutations.
*Le point de vue de Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités)