Putsch avorté en Turquie, une victoire à la Pyrus
La situation en Turquie au lendemain du putsch manqué est plus que jamais confuse et aura à coup sur des conséquences aussi bien en interne qu’au niveau géopolitique.
Par Abderrahim Hafidi*
1-D’abord les faits : selon des sources convergents en Turquie , la tentative du coup d’état se voulait une anticipation à la toute prévisible purge que préparait Erdogan et qui semblait imminente . Des centaines d’officiers supérieurs de l’armée faisaient l’objet de poursuites judiciaires et le Conseil supérieur de l’armée allait rendre des décisions de purger l’armées d’éléments accusés d’être proches de Fathiullah Gülen , le célèbre prédicateur exilé aux États Unis et dont Erdogan vient de réclamer officiellement l’extradition.
2- cette tentative de coup d’Etat intervient dans un contexte marqué par un vent d’autoritarisme de Tayyip Erdogan qui semble décidé à contrôler d’une main de fer tous les rouages de l’Etat : l’Armée et la justice , mais aussi museler la presse dont il s’ingéniait à soupçonner l’hostilité à son égard !
L’échec de ce putsch a d’abord modifié les rapports de force en faveur de Erdogan qui de toute évidence sort-momentanément – renforcé : il aura désormais les Mains libres pour nettoyer " les écuries d’augias " de son Armée de tous ses adversaire et ce, par des procédés extra légaux là où il lui était difficile de le faire en dehors des procédures judiciaires. Déjà des dizaines d’officiers de l’armée Et des magistrats ont été arrêtés au lendemain du coup d’état raté.
La démonstration de force opérée par des partisans , sortis par dizaines de milliers l’acclamer et le soutenir lui donnent une relégitimation aussi bien en interne qu’aux yeux de la communauté internationale , qui commençait à le soupçonner de vouloir verrouiller les espaces démocratiques , en plus des accusations à peine voilées de la part des puissances occidentales , de jouer un jeu ambigu à l’égard de Daech et sa stratégie de ne rien faire sur le front de guerre et" s’occuper en priorité de lutter contre le PKK.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan n’a pas tardé à annoncer la couleur. Il a promis le dimanche 17 juillet d’éliminer "le virus de toutes les institutions étatiques" au sein de l’Etat turc au lendemain de l’échec du coup d’état mené dans la nuit de vendredi à samedi, qui s’est soldé par la mort de 265 personnes à Ankara et Istanbul.
Les autorités judiciaires ont par ailleurs annoncé samedi que 2 745 juges dans tout le pays allaient être démis de leurs fonctions. D’après NTV, une chaîne de télévision turque, Alparslan Altan, l’un des 17 juges de la Cour constitutionnelle, a été placé en détention pour des raisons inconnues.
Cette démonstration de force était destinée à avertir l’opinion internationale de sa capacité à reprendre les choses en main. Cependant ces " atouts " politiques comportent aussi des risques inhérents à ce climat nouvellement créé par ce putsch et obligeront Erdogan à reconsidérer la nouvelle distribution des cartes politiques et militaires .
Si une guerre civile a été évitée de justesse avec l’échec de ce coup d’état, il lui sera cependant difficile de continuer à accuser l’opposition de gauche et nationaliste de trahir et de soutenir les "Ennemis de la Turquie " comme il le faisait jusqu’à il y a encore peu. En effet, les quatre principales formations d’opposition représentées au parlement ont signé une motion condamnant , séance tenante , cette tentative du coup d’état et apporte de facto leur soutien à la légalité du régime qu’elle combat par ailleurs !
Le gouvernement sortira également amoindri dans sa guerre d’usure contre son ennemi juré le PKK : l’armée affaiblie, pour quelques temps, n’aura plus les moyens de faire face aux "deux fronts " qui la menace : Daech et le PKK ! Cette "victoire à la Pyrus" cache en définitive des risques considérables de voir la force de frappe diplomatique et militaire affaiblie dans un contexte régional et mondial des plus enflammés.
Pendant ce temps , Israël continu en toute impunité à multiplier ses implantations en Cisjordanie , Bachar Al Assad se refait une santé en imposant un blocus à Alep et l’Iran qui profite de ce chaos chez le " frère ennemi "’sunnite pour tenter d’affirmer cahin caha , son leadership d’un monde musulman plus que jamais anéanti .
La reconfiguration d’un moyen Orient, comme le voulait l’administration Bush, est en passe d’entrer dans une nouvelle phase où l’improbable est plus que jamais …une certitude !
*Universitaire, maître de conférence à l’Institut national français des langues et civilisations orientales