Du même tonneau que celle empruntée par Nicolas Sarkozy lors d’un célèbre salon de l’agriculture. Hors de ses gonds, il lance à un manant qui refuse de lui serrer la main : «Casse-toi pauvre’con». Ou cette adresse historique à un pêcheur en colère et impoli : «Descends si tu es un homme». L’affaire est moins tranchée que cela. Le président a bien lancé le vocable peu ragoûtant, devenu quasiment ecclésiastique de «pédophiles» à la face de journalistes, mais c’était pour mieux se lancer dans un exercice de contre démonstration de tout ce qui se dit dans l’affaire Karachi avec tous les faisceaux qui pèsent sur lui, alors ministre du Budget et puis porte-parole de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur.
A ceux qui avaient lancé ou aiguisé cette affaire en parlant «d’intimes convictions» de l’existence de rétro commissions et dont le brusque arrêt aurait provoqué la mort des Français de Karachi comme l’ancien ministre de la Défense Charles Millon ou l’ex-secrétaire de l’Elysée, ancien Premier ministre Dominique de Villepin, Nicolas Sarkozy répond qu’on peut évoquer l’intime conviction pour tout avancer. Au journaliste qui l’interrogeait sur la question, Nicolas Sarkozy contre-attaque: «Et vous, j’ai rien du tout contre vous. Il semblerait que vous soyez pédophile… Qui me l’a dit ? J’en ai l’intime conviction… Les services… de sources orales… Pouvez-vous vous justifier?» Et lorsque avant de quitter les journalistes, Nicolas Sarkozy ne résiste pas au plaisir de prolonger sa trouvaille sarcastique en lançant un douteux «amis pédophiles à demain», cette affaire de «journalistes pédophiles» tombe vraiment mal pour Nicolas Sarkozy.
Dans l’enregistrement presque intégral de la séquence mise en ligne par le journal «Libération», mercredi, c’est un Nicolas Sarkozy tremblant de colère qui admoneste les journalistes, leur reproche de colporter de fausses accusations contre lui.
Cette sortie sur «les journalistes pédophiles» vient de ruiner de gigantesques efforts de la part de Nicolas Sarkozy et de son service de communication pour présidentialiser son ton et sa posture. La première moitié de son mandat s’est passée sous le signe du pugilat et de la confrontation verbale. L’entourage présidentiel avait «l’intime conviction» que sa persistante mauvaise popularité dans les sondages était la conséquence, en grande partie, de son style jugé trop direct, trop exposé. Il fallait donc que le nouveau Nicolas Sarkozy puisse contrôler son expression.
Sa dernière intervention à la télévision pour expliquer le remaniement avec la reconduction de François Fillon au poste de Premier ministre illustrait cette démarche. Voix grave, prise de hauteur, débit et phrasé contrôlés, autant d’indices que le changement de style était en marche. Jusqu’à cette involontaire collision avec les journalistes. Signe évident que l’homme est sous pression et que cette affaire de Karachi n’a pas fini de faire des dégâts.
(ALM)