Non. il faut comparer ce taux à un scrutin similaire, c’est-à-dire au précédentes législatives, en 2007, où le taux de participation était très bas, 37%. On assiste à un inversement de tendance puisque le taux de participation était en baisse constante lors des précédentes législatives. On ne peut pas comparer le taux de participation de ce dimanche à celui du référendum (72%), où la question posée – pour ou contre la réforme de la constitution – était beaucoup plus simple. Là, il s’agit de faire un choix pour des partis politiques, et ceux-ci subissent un fort discrédit.
C’est donc un échec pour le mouvement du 20 février qui avait appelé au boycott de ce scrutin ?
La marginalisation choisie par le mouvement du 20 février l’a rendu difficilement audible
Oui. Pour qu’on puisse attribuer l’abstention au boycott, il aurait fallu que le taux de participation soit encore plus bas qu’en 2007, ce qui n’a pas été le cas. La voie de la marginalisation choisie par ce mouvement l’a rendu difficilement audible. Le mouvement du 20 février se présentait comme antisystème, mais il était plus tentant pour la population marocaine de voter pour un parti qui n’avait pas encore eu l’opportunité de gouverner.
Qu’est-ce qui a motivé le vote des Marocains?
Beaucoup de Marocains ont donné leurs voix au PJD parce qu’ils représente une offre politique nouvelle. Ils n’a en effet jamais été au pouvoir et n’a donc pas de "cadavre dans le placard". Il y a une dimension expérimentale dans ce vote. Y compris de la part d’électeurs qui ne partagent pas totalement les vues du parti. Les partis politiques traditionnels sont décrédibilisés et la réforme de la constitution a permis une nouvelle donne. Les Marocains ont beaucoup d’attentes sur la question sociale, notamment les inégalités et le retard en matière d’éducation, ainsi que la corruption, véritable gangrène nationale. Le PJD arrive avec un mandat clair dans ce domaine.
Que représente le PJD dans l’échiquier politique marocain?
Le PJD n’a pas de mot d’ordre d’application de la charia
Ce parti qui double son score par rapport aux dernières élections n’est pas un nouveau venu dans le paysage politique. Il participe depuis une dizaine d’années au jeu politique et ne conteste pas le régime monarchique. Il est conservateur, certes, mais modéré. Il n’a pas, par exemple, de mot d’ordre d’application de la charia. Il ne propose pas non plus de remettre en cause la Moudawana, le code de la famille qui a été révisé en 2004, améliorant la protection des droits des femmes. Son orientation est tout sauf inquiétante à mes yeux.
Pourquoi les changement de régime dans le monde arabe ouvrent-ils tous la voie aux islamistes?
Tout d’abord, aucun parti islamiste n’est parvenu au pouvoir auparavant parce que il n’y avait pas d’élections libres. Et il est logique que dans des pays de culture musulmane la population choisisse des partis de sensibilité musulmane. Pourtant, la montée de l’"offre islamiste" remonte à la fin des années 70, mais elle a été entravée par les régimes autoritaires. De plus, tous les partis en place depuis l’indépendance ont été décrédibilisés.
Il faut toutefois relativiser le poids des islamistes dans l’électorat. Ainsi, si on additionne l’abstention et les votes pour d’autres partis, on constate que 60% des Tunisiens n’ont pas voté pour Ennahda. Et au Maroc, avec 30% des voix sur 45% de participation, le PJD ne représente en réalité que 15% des inscrits. Les partis islamistes ont donc une présence forte mais pas hégémonique. Même en Egypte, un pays plus conservateur et bigot, les Frères musulmans ne sont pas hégémoniques. Je ne crois pas à une dérive totalitaire dans ces pays.
Il faudra que ces partis fassent leurs preuves s’ils veulent que ces victoires aient une suite. Ils ne sont pas à l’abri d’une sanction électorale, s’ils déçoivent eux aussi. Mais ils peuvent aussi réussir, à l’image de l’AKP en Turquie, qui a amélioré son score au fil des scrutins successifs, parce que les Turcs ont estimé qu’il avait réussi à appliquer son programme.