Libye: « Un Etat fédéral pourrait remplacer le système Kadhafi » (LE JDD)

Directeur de recherche au CERI-Sciences Po, Luis Martinez (*) tente d’analyser l’après-Kadhafi.

Libye:
Y a-t-il une opposition en Libye aujourd’hui?

On a très mal pris en compte la société libyenne ces dernières années. Le taux d’alphabétisation est de 90% et celui d’urbanisation de 80%. Bien que ce soit interdit, toutes les familles ont des paraboles et savent très bien ce qui se passe à l’extérieur. Et depuis vingt-cinq ans, des contingents entiers de Libyens sont allés aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne faire leurs études. La diaspora est très éduquée. En bref, tous les courants d’opposition sont représentés en Libye. Il y a les islamistes, les monarchistes, les nassériens, les démocrates…

Mais ce sont les islamistes, dont on a le plus parlé.

Ils sont effectivement un gros courant d’opposition. Ils ont en outre été violemment réprimés dans les années 1990, à l’aide de mercenaires venus de l’ancienne Yougoslavie. La communauté internationale n’a alors rien dit. Ce n’est pas pour rien que Kadhafi a fait allusion à Ben Laden dans son intervention téléphonique jeudi. A cette époque, Ben Laden avait envisagé de s’installer en Libye, avant de finalement se réfugier en Afghanistan, et Kadhafi parlait des islamistes comme du "sida de l’islam". C’est donc un argument pour les Libyens. Kadhafi espère ainsi ramener à lui ceux qui se sont éloignés. Les islamistes sont un courant d’opposition parmi d’autres mais ils ont l’expérience du combat. Et une minorité agissante s’inspire du djihad.

«Un État fédéral, un système qui évitera de mettre en selle un autre dictateur.»

Qui peut gouverner après la chute de Mouammar Kadhafi?

Cela dépend de l’évolution de la situation. Si le régime s’effondre rapidement, on peut imaginer que les différents groupes –monarchistes, islamistes, nationalistes, démocrates– décident de s’entendre, comme cela s’est passé en Tunisie. C’est-à-dire qu’ils devront mettre en place une structure leur permettant de définir des compromis. S’ils ont l’intelligence politique de considérer que leur pays est gravement menacé, on peut alors imaginer une sorte d’Etat fédéral qui permette à chacun de gérer son histoire, son identité, sa tribu, son territoire. Un système qui leur évitera de mettre en selle un autre dictateur.

Si le régime tombe, mais à petit feu?

Cela change la donne, bien sûr. Ce sera favorible aux éléments les plus radicaux.

Et s’il ne tombe pas?

Ce serait le pire des scénarios. Cela pourrait permettre à Kadhafi de gérer une sorte d’Etat circonscrit à la ville de Tripoli et ses alentours. Ce serait un scénario à la somalienne, un Mogadiscio bis. C’est celui auquel je crois le moins. Une chose est certaine: si le régime ne cède pas, et pour l’instant les signaux envoyés vont dans ce sens, il faudra passer par la conquête de Tripoli, qui risque d’être extrêmement meurtrière. Ce sera un lieu de guérilla urbaine absolue. Kadhafi domine ce lieu : il a l’argent, les bunkers, les armes et le port.

(*) Auteur de Violence de la rente pétrolière, Presses de Sciences Po.

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