Les dérives et détournements du microcrédit
De belles photos d’emprunteurs pauvres ; une mission proclamée dès les premières pages : « éradiquer la pauvreté ». Une croissance exponentielle : 6,8 millions de clients, contre 600 000 il y a quatre ans. La lecture des premières pages du rapport annuel 2010, clos à fin mars, de l’établissement indien SKS Microfinance est impressionnante.
Le placement de ses actions a commencé mercredi 28 juillet. L’initiative révulse Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank et Prix Nobel de la paix, pour qui elle "met en danger" la mission du microcrédit, l’engageant dans la voie des "requins du crédit". Lui, prône le "social business", l’entreprise à finalité sociale reposant sur l’équilibre de gestion et le "zéro profit". Ce devrait être cela, le microcrédit et la mission des IMF.
Or, ces dernières années, la croissance du microcrédit a été très rapide largement en raison de sa financiarisation, qui a mis sous pression son fonctionnement. Certains opérateurs ont dérivé : moindre suivi des clients, risque accru de surendettement, méthodes de recouvrement parfois très contraignantes…
La microfinance des origines avait été snobée par les financiers, pour qui l’adage était encore : "Celui qui prête aux pauvres prête à rire." Depuis, ils ont été alléchés par ses promesses de rentabilité. Des titrisations de créances de microcrédit sous la forme d’obligations adossées à des actifs ont même été menées, avant la crise, exactement comme pour les prêts subprimes américains…
Sur les marchés, les IMF se refinancent à des taux souvent proches de 10 %. Elles doivent aussi couvrir le coût de l’inflation locale, de leurs provisions pour risques et de leur fonctionnement. Viser en plus un objectif de rentabilité élevé les fait entrer dans une spirale dangereuse.
La cotation en Bourse de l’IMF mexicaine Compartamos, en 2007 – dont le cours avait été multiplié par quatorze -, a illustré à l’excès cette dérive: en abaissant le niveau de rentabilité de 56 % à 15 %, les taux facturés aux clients auraient pu être abaissés de près d’un tiers, a calculé Elodie Parent, chargée de mission chez Proparco (groupe Agence française de développement).
S’il doit tendre vers l’équilibre de gestion, le microcrédit peut difficilement servir, en même temps, ses clients pauvres et être un bon investissement boursier. Un engagement financier plus fort des institutions multilatérales et des agences de développement lui serait bénéfique.
Les ancêtres européens des IMF – établissements mutualistes, caisses d’épargne et de crédit – se sont progressivement enrichis avec leurs clients. Lentement. Beaucoup ont fini par banaliser leur mission, pas toujours avec bonheur. Certaines IMF, elles, n’attendent même pas.
(Source Le Monde)