Le protectionnisme européen : la peur de la tomate et du polytechnicien
Circulaire Guéant, accords de libre-échange entre le Maroc et l’UE, tout semble être mis en œuvre pour orchestrer la peur de l’étranger sur le vieux continent.
Il ne s’agit pas là, bien entendu, de mettre sur un pied d’égalité des produits agricoles et des hommes, mais d’examiner les raisons qui font que des barrières se sont subitement dressées pour empêcher les diplômés maghrébins, ainsi que les produits agricoles marocains, d’entrer en Europe dans des conditions satisfaisantes.
Guéant, Bové : même combat ?
La crise économique, bien que jouant un rôle, n’explique pas en effet à elle seule la dynamique qui s’est mise en place depuis près de dix-huit mois, qui fait craindre aujourd’hui un véritable repli idéologique de l’Europe. Peut-être faut il préciser que les deux "produits" ont des opposants farouches et déterminés, qui n’ont eu de cesse de les combattre lors de ces derniers mois.
Pour les diplômés, c’est Claude Guéant qui est devenu le symbole de ce nouveau protectionnisme en matière d’immigration, avec notamment sa circulaire qui vise à augmenter le taux de retour des jeunes maghrébins dans leurs pays une fois leurs études supérieures terminées, au nom de la "préférence nationale".
Pour les agriculteurs marocains, c’est José Bové, icône du militantisme paysan de l’hexagone, qui s’est érigé en pourfendeur de l’accord de libre-échange agricole entre le Maroc et l’Union Européenne, multipliant les appels au parlement afin qu’il le rejette lors du vote devant se tenir ce jeudi, soutenu en cela par nombre de lobbies agricoles européens.
Pourtant, tout semblait opposer les deux hommes, sur le papier du moins. L’un est ministre et a dirigé la police nationale française. L’autre est militant altermondialiste et a été condamné pour le fauchage illégal de champs issus de la culture transgénique. Guéant symbolise la "droite dure", et Bové la "gauche de la gauche". Mais leur acharnement à vouloir limiter pour l’un les conditions d’accès au marché du travail et pour l’autre les conditions d’accès aux étals les a réuni autour d’une dynamique commune : jouer sur les peurs des européens en pointant du doigt l’"étranger" comme source des maux qui s’abattent sur le vieux continent.
Si le cheminement intellectuel poursuivi par les deux hommes n’est pas le même, le résultat, quant à lui, est identique.
Le triple paradoxe européen
Or, entre tentation de repli protectionniste et enjeux qui dépassent le cadre agricole, de la ratification de l’accord de libre échange par le Parlement Européen dépendra le visage futur de la coopération entre les deux rives de la méditerranée.
En effet, les deux sujets, agriculture et immigration, sont intimement liés et placent l’Europe face à un triple paradoxe. En premier lieu, comment concilier le discours de "coopération" économique avec le Maghreb avec la volonté de certains de barrer la route à ses produits ? De même, comment mener une politique de création de valeur au sud de la Méditerranée en empêchant les jeunes diplômés issus de cette région d’acquérir de l’expérience ? Enfin, comment garantir que, malgré ces mesures, le Maghreb ne se tournera pas vers une autre partie du monde pour poursuivre son développement économique et la construction de ses infrastructures ?
Ces questions exigent une réponse de fond de la part de l’Europe et de la France, car la crise économique qui frappe le continent pourrait s’accélérer si une décélération des économies du Maghreb était constatée. Cette dernière, outre les conséquences sociales catastrophiques qu’elle aurait, handicaperait en premiers lieux les pays européens, premiers fournisseurs et premiers clients du Maghreb.
Il convient donc de mettre en garde tous ceux qui pensent barrer la route à la circulation des biens et des hommes. Si l’Europe ne prend pas conscience des enjeux, le Maghreb pourrait bien déplacer son ambition économique vers l’est.
(source leplus;nouvelobs)