La Bande Sahélo-Saharienne : la géopolitique d’une région d’influence
Cherkaoui Roudani,
Expert en géostratégie et sécurité
La montée en flèche des attaques terroristes dans la zone des trois frontières dans le Sahel ainsi qu’au Nigéria est inquiétante et le risque d’embrasement de la menace est exponentiel. Les vides géopolitiques caractérisés par la présence de plusieurs zones grises rendent la région et la sous-région très fragile à un n’importe quel secouement. La connexion des groupes terroristes dans la bande sahélo-saharienne est une réalité. Aqmi, « Etat Islamique » au Grand Sahara, Boko Haram et Ansarou Islam sont liés par une communauté d’intérêts de cibles à atteindre. Dans leur quête de rendre la violence et le terrorisme un enjeu géopolitiques, les groupes terroristes cherchent tactiquement à créer les conditions d’un projet politico-religieux mondial. Cette connivence entre les groupes facilite aussi leurs manœuvres tactiques et leur interopérabilité ainsi que la maitrise du terrain. Un état de fait qui impose un défi majeur à n’importe quelle approche coercitive et à quelconques armées sophistiquées.
L’asymétrie de la guerre au Sahel rend tout combat conventionnel caduc et sans aucun effet dans le long terme. Il est très répandu qu’une stratégie sans tactique est vouée à l’échec. La région de Liptako-Gourma, ou la région des trois frontières, l’épicentre de l’activité terroriste dans le sahel est à la croisée de plusieurs sanctuaires dans lesquels s’activent les narcotrafiquants, les bandits et les vendeurs d’armes dont la provenance est la Libye. C’est une zone grise qui rassemble un florilège de groupes de toute nature et de plusieurs nationalités.
Depuis la chute de Kadhafi, la Libye est devenue une base arrière en termes d’armes et de recrutement des principaux groupes djihadistes et des rebelles armés. De fait, il n’a pas été surprenant, d’après plusieurs rapports d’organisation et d’institution internationale, que la Libye devienne une plaque tournante des armes illicites et de trafic de drogues et de stupéfiants. Conséquemment, la résolution de l’équation libyenne devient une urgence mondiale.
L’erreur d’appréciation que le conflit libyen est limité dans l’espace et dans le temps est fatale qui coutera cher à la sécurité en Afrique. Encore une fois, se contenter d’observer ce conflit armé, dans un pays qui se considère comme pivot de la sécurité régionale, avec une logique de rapport de force inter-Etats est une stratégie hautement toxique. D’ailleurs, l’enchevêtrement des intérêts géostratégiques des grandes puissances dans l’espace euro-méditerranéen est manifesté par le blocage des initiatives onusiennes proposées pour mettre la Libye dans les bons rails de la paix. De ce fait, il est important de souligner que la solution globale au Sahel est inhérente aux développements sécuritaires que connait la Libye dont ses régions du sud échappent à tout contrôle.
Plusieurs initiatives ont été élaborées pour venir au bout de la menace djihadiste dans la région sans aucun résultat palpable sur le terrain. La dernière, c’est le P3S qui a été annoncé lors du Forum de Dakar par la France et l’Allemagne, qui n’est que la déclinaison du pacte de sécurité au Sahel décidé lors du G7 à Biarritz. Néanmoins, la conception sécuritaire à l’échelle sectorielle ; et qui ne s’intéresse qu’a colmaté les brèches d’une défaillance qui est, d’ailleurs, plus global ne mettra guère en échec les menées terroristes.
Dans ce sens, sans une stratégie inclusive commune à moyen terme et à long terme entre les pays de la région vont se retrouver dans une situation périlleuse. Les capacités militaires des pays sont limitées et le degré de coordination et de coopération est freiné par les l’incapacité des Etats à instaurer une cohésion sociale. La région de Liptako-Gourma est une illustration parfaite de cette réalité géopolitique disloquée.
Les dernières attaques terroristes à Mandoro et Boulekessy et dans l’axe Ménaka-Assango ont montré la force de frappe de L’Aqmi et de Daech dans du grand Sahara. La porosité des frontières combinées à la fragilité économique et sociale autant des facteurs qui pourraient permettre aux groupes armés de renforcer leurs bases en tirant profit des armes qui proviennent de la Libye. Une autre réalité qui impose de urgemment une anticipation stratégique, et que les décideurs doivent prendre en compte dans les futures années, réside dans l’explosion démographique que connaîtra la région.
Alors que le nombre d’habitant augmente en flèche, le niveau de croissance des pays de la région est en stagnation. Toutes les études et les données sur le terrain montrent que le continent africain est une bombe démographique. Il atteindra en 2050 plus de 2,48 milliards d’habitants, et deviendra le continent le plus peuplé. Les pays de la bande sahélo-saharienne ont les mêmes tendances quant à une éventuelle explosion démographique. L’exemple du Niger, un des pays qui sont exposés aux attaques terroristes notamment de Boko Haram et du GSIM, est éclaireur de la nécessité de regarder le devenir avec une autre approche plus réaliste. Ce pays qui est classé par les agences et les institutions internationales parmi les Pays Moins Avancé va voir sa population passer de 21 à 68 millions d’habitants à l’horizon 2050. De fait, l’Afrique a encore du pain sur la planche pour arriver à une autonomie stratégique lui permettant de régler ses problèmes de l’avenir.
L’enjeu est immense pour les pays du Maghreb qui sont limitrophes aux régions du sahel et l’Afrique subsaharien. La réponse ne doit pas être que sécuritaire en mettant en place une étroite collaboration pour un système de défense et de sécurité à la hauteur des dangers qui guettent leur stabilité. Loin de ça, ces réalités africaines sont une opportunité pour s’ériger en acteur majeur de développements économiques des régions africaines voisines. Bonaparte disait que « Les Etats ne font que la diplomatie de leur géographie ». La géographie du Maghreb est une aubaine pour les cinq pays afin d’asseoir des mécanismes multilatéraux solides et pérennes. Il est impératif de chercher l’entente stratégique dans un contexte géostratégique mondial en ébullition.
Dès lors, les Etats du Maghreb, notamment le Maroc et l’Algérie, sont appelés à rentrer dans un dialogue constructif. Les métamorphoses que connait le monde imposent un realpolitik dans l’administration de leur relation bilatérale. D’ailleurs, l’attaque terroriste qui a été mené récemment par l’« Etat Islamique » au Grand Sahara dans la région de Tamanrasset au sud de l’Algérie en s’attaquant à une patrouille de l’armée algérienne est prémonitoire d’un enlisement régional dans la gangrène terroriste.
A la mesure de ces développements, il est évident que la situation sécuritaire de la bande sahélo-saharienne est en dégradation et va s’empirer tant que la cécité stratégique n’a pas été corrigé. Un plan Marshall ouest-africain est nécessaire pour accroitre les chances d’une autonomie stratégique pour l’ensemble des pays de la région. L’équation libyenne, avec ses paramètres visibles et invisibles, doit être une priorité régionale et internationale avant qu’elle se transforme en une nouvelle crise à la syrienne. C’est un scénario à ne pas écarter et qui pourrait claquemurer le devenir des deux rives de la Méditerranée, son nord et son sud ainsi que la géopolitique des pays du Sahel.