L’Iran a-t-il gagné le compromis international ?

S’agit-il d’un gigantesque marché de dupes ou d’un précieux tournant historique ? L’accord de Lausanne sur le nucléaire iranien entre Téhéran et la communauté internationale n’a pas fini de susciter enthousiasmes débordants et allergies épidermiques. Après une longue négociation, parrainée dans sa partie discrète par le Sultanat d’Oman, ce processus a fini par aboutir en Suisse, plongeant le monde dans un mélange de soulagement et de doute.

Par Mustapha Tossa

D’abord les enthousiastes. Barak Obama et le leadership iranien. Le premier tenait à laisser une trace visible dans sa propose histoire. Son bilan diplomatique ne retiendrait que deux actions majeures. D’avoir accompagné le retour des marines dans leurs casernes américaines et la signature de ce compromis sur le nucléaire iranien. Le second, les Iraniens ont intelligemment dévié une énorme pression internationale, d’abord pour éviter la guerre, ensuite pour lever les sanctions.

Et puis il y a les allergiques. Et fait rarissime. Israéliens et Saoudiens partagent le même diagnostic. Pour Benjamin Nethanayhou, l’Iran, avec son sens légendaire de la manipulation, est en train de duper la communauté internationale. Quelque soit l’accord consenti par Téhéran, il ne faut y voir qu’une tentative de gagner du temps pour parvenir à ses fins militaires et devenir une puissance nucléaire. Cette conviction est si gravée dans le marbre que le Premier ministre Israélien, nouvellement reconduit, demande aux Iraniens de reconnaître Israël comme gage préliminaire de leur bonne foi. Face à ce qui ressemble à une exigence israélienne, le président américain Barack Obama a tenu à doucher cette montée d’adrénaline : "Dire que nous devrions conditionner le fait que l’Iran n’acquiert pas l’arme nucléaire à un accord vérifiable dans lequel l’Iran reconnaîtrait Israël, cela revient à dire que nous ne signerons aucun accord, à moins que la nature du régime iranien ne change complètement".

Dans la même catégorie, il y les déçus saoudiens. En conflit ouvert avec les Iraniens sur plusieurs théâtres d’opération sur fond d’historique compétition religieuse Chiites/Sunnites, l’Arabie saoudite comptait beaucoup sur ce bras de fer international pour affaiblir l’Iran et contenir son expansion et son agressivité. Et voilà que cet accord, non seulement renforce la position internationale de l’Iran, mais active la levée des sanctions qui va donner à l’Iran un trésor de guerre encore plus puissant pour imposer son agenda et nourrir sa subversion régionale. Il faut dire que et Ryad et Tel-Aviv avaient longtemps misé dans leur bras de fer avec les Iraniens, sur l’isolement international pratiqué sur l’Iran pour affaiblir ses défenses. D’abord à travers une mise au ban de la communauté internationale. Ensuite à travers une régime de sanctions dont l’objectif était clairement de mettre à genoux le régime iranien et l’obliger à exploser de l’intérieur.

Réagissant à cette nouvelle donne, l’Arabie saoudite a poussé la mobilisation internationale autour de son action jusqu’à demander explicitement à une puissance asiatique, mais néanmoins sunnite, le Pakistan de lui fournir aide et assistance. Cette demande a eu la particulière caractéristique de mettre cette puissance nucléaire dans l’embarras. Fallait-il répondre favorablement à cette requête et donner chair à cette grande alliance sunnite destinée à contrer l’influence grandissante de l’Iran et ses nouvelles capacités à étendre son influence et à réécrire la géographie politique de la région ?

Et puis il y a les éternels sceptiques. Dans ce rôle, la France de François Hollande et de Laurent Fabius a incarné un rôle inattendu. Celui du faucon qui ne veut rien laisser au hasard. Sans le dire ouvertement, la diplomatie française semblait avoir épousé les suspicions israéliennes et les craintes saoudiennes. Comme dans une sorte de partage des rôles. Aux Américains la puissance de négocier , aux Européens, les Français en tête, la responsabilité de formuler des exigences. D’où ce discours et ce positionnement dur et avec le minimum de concessions laissés aux Iraniens dont les capacités à manœuvrer sont ainsi limitées. Ce jeu de rôles avait fait passer à l’administration américaine la séquence de toutes les contradictions entre démocrates pro-compromis et Républicains anti-accord. Ce qui a eu le don de faire apparaître les Français comme des troubles fêtes quand la communauté internationale s’impatientait de voir la fumée blanche sortir de Lausanne pour lever les verres et activer les feux d’artifices.

Une des conséquences majeures de cet accord sur le nucléaire iranien, outre qu’il met toutes les puissances régionales, Turquie, Israël, Arabie Saoudite dans tous leurs états, sera de donner un coup de fouet à l’armement nucléaire par les pays de la région qui en sont encore démunis. Ces trois puissances sont solidement convaincues que l’acquisition par l’Iran de la technologie pour accéder au nucléaire militaire n’est qu’une question de temps. Malgré les garanties données par les iraniens à la communauté internationale et malgré la sévérité supposée de ses mécanismes de contrôle, la bombe est à portée de main d’un savoir-faire iranien qui a pu se développer loin de la curiosité internationale. Ce nouveau rapport de forces pourra imposer à la diplomatie américaine une nouvelle occupation, celle de convaincre ses alliés historiques, comme l’Arabie Saoudite, de ne pas se lancer dans la course à l’armement nucléaire sur la base de la seule bonne foi iranienne. Il n’est pas certain qu’une telle démarche puisse être couronnée de succès surtout venant de pays qui connaissent bien la roublardise historique de leur challenger iranien et sa détermination à imposer à tous ses propres agendas.

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