JO-Ramadan: l’estomac vide, mais ventre à terre

En plein ramadan, les athlètes musulmans ont dû choisir : respecter leur jeûne ou le repousser après les Jeux. Les avis sont partagés.

Samedi 28 juillet, premier jour de compétition des Jeux olympiques de Londres. Le défilé, les drapeaux et les spectacles de la veille qui ont duré des plombes sont oubliés. Place au sport. Aux exploits et aux défaites. Aux joies himalayesques et aux insondables tristesses. Ce samedi à Londres, le soleil se lève à 3 h 31 et se couche à 20 h 57. Anecdotique pour certains. Beaucoup moins pour d’autres. Car, pour la première fois depuis 1980, les Jeux olympiques se disputent en plein mois de ramadan, l’un des cinq piliers de l’islam, qui a lieu cette année du 20 juillet au 20 août. Durant cette période, pas d’eau ni de nourriture pour les musulmans (adultes) de l’aube au coucher du soleil. Compliqué pour les sportifs, surtout en plein été, et ce même si la capitale britannique n’est pas réputée pour ses températures caniculaires.

A Londres, quelque 3 500 athlètes de confession musulmane (25% des participants environ) sont susceptibles de pratiquer le jeûne. Les protestations de nombreux pays et de la commission islamique des droits de l’homme à l’époque de l’élection de Londres n’y auront rien changé. Ils avaient demandé que l’on décale les Jeux pour ne pas désavantager les sportifs musulmans. Le Comité international olympique (CIO) avait refusé de répondre, se contentant d’un communiqué rappelant le caractère laïc de l’événement : «Les Jeux olympiques rassemblent pratiquement toutes les religions et croyances. Il va de soi que certains jours présentent des difficultés pour les pratiquants de religions diverses. La pratique religieuse relève de chaque athlète et de ses convictions personnelles.»

Mais, question logistique, Londres a quand même tout prévu. Sur chaque site où se tiennent les compétitions, des aliments seront mis à disposition pour que les sportifs concernés puissent rompre le jeûne. Et les restaurants du village olympique resteront ouverts toute la nuit.

Certains pays, à l’image des Emirats arabes unis, du Maroc et de l’Algérie, ont décidé d’aider leurs athlètes. Les instances religieuses ont émis une fatwa (un avis religieux) qui exempte de jeûne les participants aux Jeux olympiques. La règle qui dispense de jeûne toute personne en voyage s’appliquera aux sélectionnés, avec l’obligation de rattraper le mois de jeûne à la fin de la compétition. Les participants venus d’Iran ou d’autres pays moins tolérants seront en revanche tenus de respecter le ramadan sans flancher.

«Risques de blessures». Du côté de l’équipe olympique française, la question ne se pose pas vraiment. La plupart des sportifs de confession musulmane et pratiquants ne respecteront pas le ramadan. Ils le rattraperont plus tard. Après discussion avec l’encadrement, les boxeurs Nordine Oubaali et Rachid Azzedine, eux aussi, ont fait ce choix. Le préparateur physique, Mehdi Nichane, l’explique : «Ça n’a pas été trop compliqué de les convaincre. Ils connaissent l’importance des Jeux, et pour espérer décrocher une médaille il faut arriver en pleine possession de ses moyens.» Avant de rappeler une anecdote : «La préparation pour les qualifications des Jeux olympiques de Pékin en 2008 était tombée en pleine période de ramadan, tous ceux qui ont respecté le jeûne ne se sont pas qualifiés. Ça ne doit pas être la seule raison, mais il doit y avoir un lien.»

En athlétisme, le directeur technique national (DTN), Ghani Yalouz, préfère que les athlètes ne jeûnent pas pour «éviter les risques de blessures». Il a une seule petite interrogation : Abdellatif Meftah. Dans les colonnes de l’Equipe, le marathonien de 31 ans a déclaré : «Je fais de la compétition pendant le ramadan depuis vingt ans. Ça ne m’a jamais posé de problème. Pendant cette période, j’ai même battu trois records de France le même jour.» Peu avant le début des épreuves, le manager de l’équipe de France, Jean-François Pontier, essayait toujours de convaincre Meftah de faire comme ses camarades. Ce n’est pas gagné.

A un peu plus de huit heures de vol de Londres, le Qatar et sa capitale, Doha. C’est là que se trouve la clinique Aspetar, qui a pour objectif de devenir le «leader mondial de la médecine du sport». Ici, la question du sport pendant le ramadan n’est pas nouvelle. Une équipe d’experts dans toutes les spécialités de la médecine sportive travaille sur le sujet depuis plusieurs années. Parmi eux, un ancien médecin du Paris-Saint-Germain : Hakim Chalabi. Après une batterie de tests sur des sportifs en condition «ramadan», le diagnostic tombe : «Pendant le ramadan, il y a un décalage entre la prise alimentaire et le pic de dépense énergétique du lever au coucher du soleil. Ces changements peuvent perturber les habitudes et influencer négativement la performance athlétique, mais uniquement lorsque les athlètes sont incapables de s’adapter à ces changements. Tant qu’une alimentation équilibrée, une activité physique suffisante et un sommeil suffisant sont maintenus, il n’y a aucun danger connu pour la santé des athlètes.»

«Force spirituelle». Forts de leurs études, les médecins de la clinique Aspetar poussent l’analyse encore plus loin : «Plus important encore, au cours d’épreuves de courte durée, comme le 100 m, les athlètes peuvent atteindre une performance maximale même pendant le jeûne. En ce qui concerne les sports d’endurance comme le marathon, la performance serait limitée pendant le ramadan pour les athlètes à jeun. C’est notamment pour cela que la plupart des athlètes musulmans d’endurance qui participeront aux JO ont déclaré qu’ils casseraient le jeûne le jour de leurs épreuves et qu’ils le compenseraient plus tard.» Reste la chaleur : le principal inconvénient avec l’impossibilité de se réhydrater. Surtout pendant et après l’effort. La température extérieure à Londres variera entre 10 et 30°C.

Sans importance, selon certains sportifs, convaincus que leur performance est meilleure lorsqu’ils jeûnent : «Pour ces athlètes, cela peut effectivement donner une force spirituelle intérieure et augmenter leur confiance en eux», indique-t-on à Aspetar. Où l’on souligne que le ramadan a récemment coïncidé avec plusieurs événements sportifs internationaux, comme les championnats du monde d’athlétisme de Daegu l’an passé ou les JO de la jeunesse de Singapour en 2010. Le jeûne pendant les compétitions estivales n’est pas un phénomène nouveau pour la plupart des athlètes musulmans qui seront à Londres et chacun est donc censé avoir conscience des difficultés qui l’attendent.

Dans deux ans, la question reviendra sur le tapis. La Coupe du monde de football 2014 se déroulera elle aussi pendant le ramadan. Cette fois, ce sera sous la chaleur et l’humidité brésilienne. Dans des conditions climatiques beaucoup plus rudes pour un organisme à jeun que celles de l’été londonien.

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