Immigration et littérature : cinq questions au président du CCME Driss El Yazami

L’influence des contributions des auteurs africains établis à l’étranger se fait ressentir de manière significative sur la littérature de leurs pays d’origine, leur empreinte étant perceptible en termes d’enrichissement de l’imaginaire littéraire.

Tel est le constat dressé par le président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), Driss El Yazami, en marge de sa participation à la 4ème édition du Salon maghrébin du livre d’Oujda. M. El Yazami revient à cet égard sur le rôle du « Sud Global » dans le changement de vision que l’on a des pays africains, le rapport entre le retour des diasporas et la politique publique, ainsi que la manière avec laquelle les pays africains peuvent se réapproprier leurs cultures.

1) Comment est-ce que l’immigration façonne la littérature maghrébine ?

Aujourd’hui, l’imaginaire de cette littérature est universel, mondial et globalisé. Si je parle seulement de la littérature marocaine, aujourd’hui le roman marocain s’écrit en arabe, un peu en amazigh, mais aussi en castillan, catalan, français, allemand, italien, anglais, flamand et néerlandais. Par ailleurs, c’est une littérature qui se féminise de plus en plus avec l’implication considérable des romancières.

Quand j’étais encore jeune, on parlait d’extinction de la littérature maghrébine d’expression française. On pensait qu’après Driss Chraïbi et Tahar Ben Jelloun il n’y aura plus rien, alors qu’en fait ce n’est pas vrai. C’est un des apports de la migration.

2) Quel apport ont les auteurs africains de la diaspora dans l’enrichissement littéraire des pays d’origines ?

C’est une sorte d’élargissement et d’enrichissement de l’imaginaire des pays d’origines. Par définition, la culture, la littérature et la fiction avancent par la confrontation, le mélange avec d’autres imaginaires et le métissage.

Au Maroc, un de nos principaux chantiers culturels est celui de la traduction des ouvrages écrits en langues étrangères vers l’arabe et l’amazigh.

A titre d’exemple, un des plus grands romans sur l’immigration a été publié en 1955 par feu Driss Chraïbi et n’a été disponible dans une traduction arabe qu’en 2021. Ainsi, pendant tout ce temps, les lecteurs arabophones ont été privés de cette richesse.

3) Comment est-ce que le « Sud Global » peut changer la vision que l’on a des pays africains ?

Si l’on reste dans le domaine de l’immigration, aujourd’hui 4 migrants africains sur 5 vont d’un pays du sud vers un pays africain, donc la migration africaine est fondamentalement un phénomène africain.

Il faut que l’on critique la manière avec laquelle le Nord et l’Europe traitent les migrants, mais il est également essentiel que nous puissions nous regarder aussi, d’où l’importance de l’Agenda africain sur la migration que SM le Roi Mohammed VI avait présenté au Sommet de Union Africaine (UA).

On a donc besoin d’une politique africaine de l’immigration et d’une éthique africaine de l’accueil de l’Autre, puisque c’est également un problème posé au « Sud Global ».

4) Le Maroc, comme beaucoup de pays africains, fait face au retour de sa diaspora. Quel(s) changement(s) cela implique en termes de politique publique ?

Rien ne démontre que personne ne revenait avant, ni qu’il y a une accélération des retours avec la montée de l’extrême droite et de l’islamophobie. D’ailleurs, nous allons publier avec l’Université Internationale de Rabat (UIR) une ethnographie des cadres marocains qui sont déjà revenus.

Ce qui est certain aujourd’hui, c’est qu’il y a une compétition internationale acharnée pour les ressources humaines. Tous les Etats du monde se bataillent pour attirer les talents dans des domaines qualifiés et moins qualifiés.

Le Maroc doit, comme d’autres pays, mobiliser sa diaspora dans l’ensemble de ses chantiers, avoir une politique d’attractivité de toutes les compétences de toutes nationalités et développer les conditions d’accueil.

5) Comment est-ce que les pays d’Afrique peuvent se réapproprier leurs cultures ?

C’est un immense chantier. Il y a une idée centrale qu’il faut peut-être réhabiliter : souvent, on a l’impression qu’il y a le développement d’un côté, et que la culture n’est qu’un supplément, une sorte de cerise sur le gâteau.

Aujourd’hui, il est temps de considérer la culture au centre de tout développement.

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