Un père juif américain dort à poings fermés sur son fauteuil pendant que son fils achève un coloriage. Le dessin terminé, le petit garçon tente de réveiller son père pour lui tendre son oeuvre : "Daddy, daddy", l’interpelle-t-il à plusieurs reprises. En vain. Il décide alors de l’appeler "Abba", nom hébreu désignant le "père". Celui-se réveille immédiatement, tout sourire. "Avant que "Abba" ne devienne "Daddy", il est temps de rentrer en Israël", conclut l’annonce diffusée à New York, Los Angeles et Palo Alto. Lancée depuis septembre par le ministère israélien de l’Immigration et de l’Intégration, la campagne entend inciter les expatriés vivant aux États-Unis à retourner en Israël, au risque de "perdre leurs racines juives et d’être assimilés à la société et à la culture américaine", explique le Gardian.
"Scandaleux et insultant" (association)
Pourtant, l’opération a suscité chez la diaspora l’exact effet inverse, provoquant notamment la fureur des Fédérations juives d’Amérique du Nord (JFNA). L’entité, qui rassemble 157 organisations et plus de 300 réseaux à travers le pays, n’a pas hésité à la qualifier de "scandaleuse et insultante". Une réaction d’autant plus embarrassante que la communauté juive aux États-Unis est énorme (5,28 millions), ne comptant que 500 000 Juifs de moins qu’en Israël (5,70 millions). Une diaspora dont l’État hébreu aurait tort de se passer en ces temps d’isolement diplomatique, d’autant qu’elle explique en partie le soutien indéfectible des États-Unis à Israël.
Dans un mail envoyé à ses nombreux membres ainsi qu’au Premier ministre Netanyahou, l’association s’indigne de la campagne publicitaire : "Bien que nous comprenions les motivations derrière la campagne, nous demeurons fortement opposés au message selon lequel les Juifs américains ne comprennent pas Israël. Nous partageons l’inquiétude de beaucoup d’entre vous selon laquelle ce message scandaleux et insultant pourrait altérer la relation entre Israël et sa diaspora." Et la JNFA d’ajouter : "Au lieu de dresser les Juifs israéliens et américains les uns contre les autres, nous devrions chercher à renforcer notre amour partagé pour Sion et construire les liens du peuple juif dans le monde entier."
En France en 2004
En réalité, l’opération répond à une résolution, adoptée en 2010 par le cabinet du Premier ministre israélien, qui encourage les citoyens israéliens aux États-Unis à retourner au pays, incitations financières à l’appui. D’après le porte-parole de Benyamin Netanyahou, la mesure visait officiellement à "empêcher la fuite des cerveaux". Difficile, pourtant, de ne pas y voir une volonté de renforcer la population juive au sein de l’État hébreu. Ce n’est pas la première fois qu’un Premier ministre israélien agit de la sorte. En 2004, Ariel Sharon avait provoqué l’indignation en appelant publiquement les Juifs de France à venir s’installer en Israël "aussi vite que possible", en raison d’un "antisémitisme" qu’il estimait croissant dans l’Hexagone.
Au coeur de la tourmente, le ministère israélien de l’Immigration et de l’Intégration justifie son choix par le fait que la campagne "touche l’essence même de l’identité israélienne". Pour le reste, le ministère préfère botter en touche : "La campagne ne visait ni la communauté juive aux États-Unis ni toute autre diaspora", écrit-il dans un communiqué, repris par le Daily Telegraph. "Les récentes accusations selon lesquelles le gouvernement israélien essaie d’intervenir dans les choix personnels des Juifs américains ou de rabaisser leur mode de vie sont infondées."
Submergé par les messages de colère, l’ambassadeur d’Israël à Washington, Michael Oren, a expliqué que cette campagne avait été conduite sans l’approbation de l’ambassade israélienne à Washington, ni de celle du chef du cabinet du Premier ministre, et que ni l’un ni l’autre n’avaient pas été mis au courant. Netanyahou n’a pas tardé à réagir. Face à la colère de la diaspora, il a ordonné l’annulation pure et simple de la campagne.