Il commence pourtant à être admis par des responsables politiques et des intellectuels : la réalité des actes commis contre des lieux de culte ou des citoyens musulmans est désormais reconnue par les plus hautes instances de l’Etat. Cette reconnaissance est bienvenue. Nommer et identifier un problème ne peut que contribuer à sa résolution.
Bien des facteurs ont contribué à cette évolution. La médiatisation d’agressions de femmes voilées prises à partie sans autre raison que l’affichage de leur appartenance religieuse. Mais aussi le travail d’associations qui ont mis en lumière des faits jusque-là passés sous silence ou assimilés à du "racisme ordinaire". Ou encore la publication de statistiques validées par le ministère de l’intérieur, faisant état d’une augmentation régulière des plaintes liées à des actes anti-musulmans, qu’il s’agisse d’agressions physiques ou verbales contre des personnes ou de dégradations de lieux de culte. Ou, enfin, la condamnation politique unanime des profanations à répétition de tombes militaires (ou civiles) musulmanes.
Mais le simple constat ne suffit pas. Encore faut-il connaître les causes de ces nouvelles tensions, qui malmènent la deuxième religion de France. Mais aussi, et surtout, éviter les pièges de l’instrumentalisation à laquelle ce sujet est propice.
Les ressorts de l’islamophobie sont nombreux : anticléricalisme, rejet de la différence, lecture géopolitique de l’islam, assimilé à l’islamisme radical et au terrorisme, revendications identitaires et religieuses jugées exorbitantes par la société française, remise en cause de certaines lois de la République par des pratiquants… Il est de la responsabilité de chacun : observateurs, responsables politiques, militants de la lutte contre l’islamophobie, de discerner la validité de chacune de ses causes dans le contexte français.
D’autant que des soupçons pèsent sur la légitimité de ce combat, qui ne serait qu’un prétexte pour invalider toute critique de la religion musulmane et instaurer, au bout du compte, un délit de blasphème. Cette crainte – qui a contribué à disqualifier le terme même d’islamophobie – est fondée. Pendant des années, l’Organisation de la coopération islamique a défendu à l’ONU l’inscription de la diffamation des religions dans le droit international. Elle n’y est pas parvenue. Mais la confusion demeure dans les esprits les plus radicaux.
D’autres voient aussi dans ce combat une volonté chez certains musulmans de s’inscrire dans une concurrence victimaire avec les juifs, afin de "minimiser" l’antisémitisme. Là encore, une définition claire de la lutte contre l’islamophobie permettra de couper court à toute instrumentalisation.
Enfin, sur le plan politique, une attention sans faille doit être portée aux discours présentant les musulmans et l’islam en général comme un "problème". Selon la plupart des observateurs, cette tentation de l’amalgame favorise le passage à l’acte.
Dans ce contexte, les politiques doivent veiller à ce que la laïcité, convoquée de l’extrême droite à l’extrême gauche, ne soit pas à son tour instrumentalisée pour justifier le rejet global d’une religion.