Impasse des deux palais en Tunisie
Le suspense est à son comble. Laïcs et islamistes vont-ils parvenir à un accord politique qui permettrait à la Tunisie de sortir de l’impasse où elle s’enfonce dangereusement depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi? Depuis de longues semaines, le pays est sur le fil du rasoir. On le dit revigoré à cause d’un regain de vitalité de l’opposition inspirée par le soulèvement des Egyptiens contre les Frères Musulmans. On le dit aussi fragile à cause d’un voisinage sécuritaire incertain composé de l’incontrôlable Libye et l’inamicale Algérie. Pourtant pour éviter le chaos, la Tunisie a besoin de cet accord politique de transition.
À l’égard de ces revendications, le parti Ennahda que dirige Rached Ghannouchi a eu deux postures différentes. La première, immédiate, était de s’accrocher à la légitimité des urnes et de renvoyer les porte-voix de ses revendications à leurs fantasmes de refuzniks et de nostalgiques de l’ère de Ben Ali. Ce fut le temps de l’arrogance où les islamistes tunisien bombaient le torse, fronçaient les sourcils et levaient la voix. Cette période ne dura pas longtemps. La seconde posture est venue comme conséquence directe de la chute de Mohamed Morsi en Egypte et l’assassinat de Mohamed Brahimi, député et opposant tunisien.
Le parti Ennahda commence à lâcher du lest. On parle d’un possible dialogue national qui pourrait aboutir à satisfaire l’ensemble des partenaires. La presse internationale s’était même mise à tresser quelques lauriers à Rached Ghannouchi et à louer sa souplesse. Le leader islamiste tunisien sort gagnant dans la comparaison spontanée que les éditorialistes établissent entre lui le président déposé Mohamed Morsi, connu pour sa rigidité et son incapacité à traiter avec intelligence la nouvelle donne imposée par les militaires.
Mais Rached Ghannouchi a simplement eu un moment de répit. Lui et son parti étaient sous le feu des accusations de l’opposition sinon d’avoir été complices dans la longue litanie de violences et d’insécurité qui frappe la Tunisie, du moins d’avoir créé les conditions de l’émergence d’une telle violence. Les assassinats de chokri Belaid et de Mohamed Brahmi furent portés au passif de la gouvernance Ennahda et de Rached Ghannouchi à qui on reproche de ne pas avoir été suffisamment ferme dans le lutte contre les mouvements djihadistes, notamment ceux qui militent sous le label Ansar Al Charia et qui menacent ouvertement de déstabiliser la Tunisie, qu’ils traversent la frontière Est avec l’Algerie ou Ouest avec la Libye.
Le dialogue national fut donc la recette magique qui allaient éliminer le spectre de la déflagration. Il est vrai que personne ou presque ne misait sur une réédition du scénario égyptien pour balayer le pouvoir d’Ennahda en Tunisie. La raison est simple : l’arme tunisienne n’occupe pas le même espace politique et économique que celui de l’armée égyptienne et n’a sans doute pas l’ambition de se mettre en avant.
De son exil saoudien d’où il suit les évolutions de la situation, l’ancien président tunisien Z. Ben Ali doit se frotter les mains de cynisme et de rancune revancharde. La situation économique et politique du pays n’est pas reluisante à l’ombre du blocage politique de ce fameux dialogue national. Devant ces hésitations, la crainte est aiguë de voir la violence politique refaire irruption sur la scène politique tunisienne. Les récentes événements de de la région de Sidi Bouzid où six gendarmes ont été tués sous le feu de groupes armés en dit long sur la fragilité sécuritaire du pays et les dangers qui menacent l’ensemble de son architecture politique.
Cet événement fait écho à la tragédie des huit soldats tués dont cinq égorgés à l’ouest de la Tunisie à la frontière avec l’Algérie et qui avaient profondément ému la société tunisienne. Il pose aussi des interrogations sur le timing de tels actes et le message politique qu’ils contiennent. Avec cette question actuellement sur les lèvres de beaucoup de Tunisiens : qui a intérêt à faire échouer le dialogue national??