Hollande, autopsie d’un immobilisme
A force de couacs et de reculades, l’exécutif s’enferre dans une crise majeure qui inquiète à l’approche des élections. Peu de chance pourtant que l’Elysée réagisse à court terme.
Dans un tel contexte, il n’est pas très étonnant qu’un grand concours Lépine se soit ouvert : que doit maintenant faire Hollande ? Chacun a son idée : changer les équipes à l’Elysée, le Premier ministre, le gouvernement ou, au contraire, ne surtout pas bouger… François Hollande reçoit, consulte et entend tout et son contraire. Plusieurs proches, y compris à l’Elysée, plaident pour que le chef de l’Etat n’attende pas le résultat des élections municipales et européennes de l’an prochain pour renverser la table, très vite. Pourtant Hollande devrait, une fois de plus, laisser passer l’orage. Et se donner un peu de temps et d’air. «On est dans un moment vraiment difficile où tout se cristallise, il faut avoir des nerfs», confie un ministre hollandais du premier cercle. Passage en revue des trois raisons qui expliquent pourquoi le grand chambardement n’est a priori pas pour demain.
Le calendrier
Pour le chef de l’Etat comme pour ses troupes, plusieurs principes de réalité s’imposent. D’abord, la majorité est en plein marathon budgétaire jusqu’à la mi-décembre, voire jusqu’aux vacances de Noël. «Rien ne peut bouger tant qu’on n’a pas un budget», prédit un pilier socialiste de l’Assemblée nationale. Malgré cela, certains restent persuadés qu’il faut créer la surprise, sans pour autant devoir tout changer : «Entre maintenant et Noël, il y a les moyens de recréer une dynamique», plaide un conseiller ministériel.
Sur les radars de la majorité, viennent ensuite les municipales et les européennes, en mars et mai. Et là, les avis socialistes divergent totalement. «Le risque de remanier avant les municipales, c’est créer un paquet de frustrés, met en garde un dirigeant du PS. On n’a pas vraiment besoin de cinq ou six Delphine Batho supplémentaires» canardant l’action du gouvernement. Mais, à en croire un ministre, la bonne fenêtre de tir se situe en janvier, selon un triptyque «inversion, remaniement, reconquête». A ce moment du quinquennat, qu’il a toujours divisé en deux temps (redressement puis «partage des fruits de la croissance»), Hollande pourra jouer sur ce tout petit mieux pour dire «je remercie Jean-Marc Ayrault, sa tâche était très dure mais nous entrons dans une nouvelle phase», complète le ministre. Même à l’Elysée, le scénario divise. «Le remaniement, c’est le marronnier des conseillers ministériels, mais cela n’a aucun intérêt pour Hollande, explique un conseiller présidentiel. Il faut limiter les dégâts sur les municipales, donc on ne va pas tout foutre en l’air maintenant.»
La ligne politique
Les proches de François Hollande disent tous la même chose : un remaniement doit répondre à un moment très particulier et surtout avoir une signification politique. Sous-entendu, la multiplication des bourdes et reculades de ces quinze derniers jours ne suffit pas pour justifier le grand ménage. A l’Elysée, on se dit pourtant attentif aux états d’âme d’une partie de la majorité. «On entend chez certains élus que notre politique de l’offre n’est pas assez à gauche, confie un proche du chef de l’Etat. Et comme les résultats tardent, il est normal que les doutes s’expriment.» Porte-parole des députés socialistes, Thierry Mandon confirme une impatience : «On sait qu’on ne changera pas de politique, mais le temps est proche d’une inflexion européenne sociale et fiscale.»
Mais si inflexion il y a, ce sera probablement plus dans le choix des mots que dans la conduite de la politique économique. «Il faut reprendre le fil que l’on a jamais quitté : la bataille contre le chômage», confie un collaborateur du Président. Au sommet de l’Etat, on guette l’horizon de la fin de l’année en espérant que surgisse enfin une île : celle de la confirmation de la (petite) reprise économique et surtout l’inversion de la courbe du chômage. «Il faut se battre, on n’est pas dans un truc irréversible, confie un ministre hollandais. S’il y a inversion de la courbe du chômage, la bataille politique à mener aura besoin d’absolument tout le monde.» «Ce sera notre temps fort», confirme un conseiller du chef de l’Etat, avant d’ajouter en guise d’avertissement : «Mais s’il n’y a pas inversion, c’est sûr que ce sera beaucoup plus difficile.»
Le style
François Hollande déteste devoir réagir à la pression. Après l’affaire Cahuzac, une grande partie de la hollandie prédisait déjà un remaniement imminent… Hollande a longtemps laissé dire, pour finalement lever définitivement l’hypothèque. Il y a chez lui beaucoup d’inertie et d’obstination. Comme le résume un dirigeant du Parti socialiste : «La définition du hollandisme, c’est on ne bouge pas donc, on ne va pas bouger.» Pas question, donc, pour ses proches de chambouler un agenda qui sera dominé dans les semaines qui viennent par une lourde séquence internationale (visite en Israël, puis sommet des chefs d’Etat africains à Paris, voyage au Brésil, etc.). Une façon aussi pour le président de la République de retrouver un peu de hauteur liée à sa stature.
Pour autant, Hollande a conscience que son dispositif doit être corrigé. Un fidèle : «Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut plus avoir cette improvisation avec un président qui parle à 11 heures, un Premier ministre à midi, un PS qui n’est pas au courant et un ministre qui arrive en avion en disant "je ne suis pas d’accord".» A l’Elysée, on confirme qu’on réfléchit à «reprendre l’animation de la majorité en main». Certains qui ont vécu la période Jospin regrettent par exemple les petits-déjeuners du mardi ouverts à l’ensemble de la majorité, et non aux seuls socialistes (comme c’est le cas aujourd’hui), et les réunions de coordination entre ministres tous les quinze jours. «Pourquoi Duflot n’est pas à la réunion des cadors de la majorité du lundi chez Ayrault ? Ce n’est pas normal», s’interroge un proche du chef de l’Etat. Pas certains que cela change la marche du gouvernement. Mais puisqu’il faut tenir…