Les djihadistes d’Al Qaïda en Irak, qui répondent aux ordres d’Ayman al Zaouahri, le successeur d’Oussama ben Laden, ont dans un premier temps soutenu Al Nosra, en lui fournissant armes et combattants.
Mais depuis que le mouvement islamiste syrien lui a prêté allégeance en avril, l’organisation internationale a pris le contrôle effectif d’Al Nosra et marginalisé ses anciens chefs, disent des sources au sein d’Al Nosra et d’autres groupes insurgés.
"Il y a maintenant deux Nosra. L’un poursuit l’objectif d’Al Qaïda de créer une grande nation islamique, l’autre est syrien et a pour objectif de nous aider à combattre Assad", explique un commandant rebelle qui a souvent été amené à se coordonner avec un mouvement islamiste qu’il juge "en train d’imploser".
Certains insurgés affirment même que l’aile syrienne d’Al Nosra s’est déjà désintégrée, son chef Abou Mohamed al Golani faisant profil bas tandis que la plupart de ses combattants ont rejoint d’autres mouvements.
Al Nosra, qui a revendiqué les attentats les plus meurtriers à Damas, a été ces derniers mois à la pointe de l’insurrection contre Bachar al Assad, ses brigades menant les offensives les plus efficaces contre les forces gouvernementales, notamment dans la région d’Alep.
Bien qu’il soit considéré comme une organisation terroriste par les Etats-Unis, il a ainsi accru sa popularité auprès de la population syrienne favorable aux rebelles, d’autant que ses combattants, très disciplinés, collaboraient avec les autres groupes insurgés, empêchaient les pillages et fournissaient de l’aide aux réfugiés de l’intérieur.
"UN HOMME BRUTAL"
Mais le chef d’Al Qaïda en Irak, Abou Bakr al Bagdadi, qui s’est installé dans le nord de la Syrie en avril, a une toute autre réputation.
Décrit comme un homme brutal, obsédé par la mise en place de tribunaux islamiques et par les exécutions publiques – comme celle de trois hommes présentés comme des officiers alaouites, la communauté d’Assad, cette semaine à Rakka -, il s’est mis à dos nombre de Syriens, y compris de combattants islamistes.
"Nous ne voulons pas de lui sur le terrain. Il devrait repartir en Irak avec ses combattants", dit un proche de Golani. "Nous n’aimons ni sa façon d’opérer, ni ses méthodes."
L’annonce par Abou Bakr al Bagdadi de la fusion entre Al Qaïda en Irak et le Front al Nosra en avril, sous le nom d’Al Qaïda en Irak et en Levant, a manifestement pris de court la branche syrienne du mouvement.
Abou Mohamed al Golani a aussitôt fait savoir qu’il n’avait pas été consulté et s’il a accepté de prêter allégeance à l’Egyptien Ayman al Zaouahri, il a précisé que ses hommes continueraient à se battre sous la bannière d’Al Nosra.
"Golani a prêté allégeance religieusement à Zaouahri, mais pas politiquement ni militairement", précise le proche du chef historique d’Al Nosra. "Il voulait ainsi essayer de conserver ses distances avec Bagdadi."
La manoeuvre a échoué. Peu après, Abou Bakr al Bagdadi a quitté son Irak natal pour établir sa base dans la région d’Alep, où il a été rejoint par les djihadistes arabes et étrangers qui avaient auparavant rallié Al Nosra.
Les divisions entre les deux ailes du mouvement n’ont depuis cessé de s’approfondir. Les djihadistes opèrent désormais sous le nom d’Al Qaïda, tandis que les combattants syriens ont dans l’ensemble préféré rejoindre d’autres brigades islamistes de la nébuleuse rebelle.
"La situation a énormément changé. Bagdadi et ses hommes sont actifs, mais Al Nosra n’existe plus en tant que tel", dit une autre source au sein d’Al Nosra. "Ceux qui sont avec Bagdadi sont les plus impitoyables de tous les combattants. Nos frères essaient de les éviter autant que possible."
Cette source et d’autres Syriens d’Al Nosra auxquels Reuters a parlé craignent que les méthodes d’Abou Bakr al Bagdadi ne retournent la population contre les insurgés, comme cela avait été le cas dans l’ouest de l’Irak en 2007, lorsque la barbarie d’Al Qaïda avait favorisé l’émergence des milices Sahwa soutenues par les Etats-Unis.
Les combattants syriens d’Al Nosra aimeraient qu’Ayman al Zaouahri règle la question en ordonnant à Abou Bakr al Bagdadi de retourner en Irak.
"Il y a maintenant deux options. Soit Zaouahri annonce la séparation du Nosra syrien de l’Etat islamique d’Irak, soit il dit à Bagdadi de rester (en Syrie) et dans ce cas ce sera un désastre", dit l’un d’eux.
Mais un commandant rebelle à la tête d’un groupe soutenu par les pays occidentaux ne se fait pas d’illusion, convaincu qu’Abou Bakr al Bagdadi a reçu la bénédiction du chef d’Al Qaïda pour s’installer en Syrie.
"Ils (Al Qaïda) ont piégé Golani", estime-t-il. "Ils voulaient mettre un pied en Syrie, et le fait de fournir des hommes et des armes à Golani au début le leur a permis, jusqu’à ce qu’ils soient assez forts pour prendre le contrôle de son mouvement."
Aujourd’hui, Abou Mohamed al Golani, dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’il aurait la quarantaine, se cacherait dans la province de Damas avec les combattants qui lui sont restés loyaux, qu’Abou Bakr al Golani a déclarés "infidèles".
Selon des sources auprès de la mouvance islamiste, ce dernier, lui aussi âgé d’une quarantaine d’années, nourrirait une haine personnelle envers le fondateur du Front al Nosra, dont il enviait la popularité et vilipendait la coopération avec les autres branches de la rébellion, Frères musulmans, Armée syrienne libre et chrétiens inclus.
Reuters