Le président Assad risque aujourd’hui de perdre une bonne partie de son autonomie vis-à-vis de Téhéran et de devenir un pion sur l’échiquier régional, dans une lutte d’influence bien plus large entre sunnites et chiites, qui ne prendra peut-être pas même fin s’il est contraint à la démission, estiment experts militaires et diplomates en poste dans la région.
Ayant perdu des milliers d’hommes issus de sa communauté alaouite (une branche du chiisme), alors que la guerre civile est dans sa troisième année, et soucieux de préserver ses unités d’élite, Bachar al Assad se repose progressivement sur le Hezbollah et d’autres milices chiites alliées à l’Iran pour inverser la tendance.
Les unités alaouites de l’armée syrienne, avec leur important arsenal de missiles et de pièces d’artillerie, sont en retrait actuellement dans les combats. Elles utilisent leurs armes pour ouvrir des brèches dans le dispositif des insurgés, dans lesquelles s’engouffrent ensuite les miliciens syriens formés par les Iraniens et par le Hezbollah.
Dans certains cas, ce sont des hommes du Hezbollah, organisation soutenue par l’Iran, qui livrent les combats de rue, selon des chefs insurgés et d’autres sources proches de l’opposition.
En vertu de cette configuration nouvelle, le Hezbollah et l’Iran sont directement impliqués dans les structures de commandement des forces d’Assad, ce qui entame l’autorité du régime et la base du pouvoir alaouite sur laquelle repose le pouvoir de la famille Assad depuis une quarantaine d’années.
Les alaouites, auxquels appartient le clan Assad, contrôlent la Syrie depuis les années 1960.
AVANTAGE DE COURTE DUREE ?
Contrairement aux chiites d’Irak, d’Iran et du Liban, les alaouites de Syrie sont plutôt des laïcs, dénués du zèle religieux qui a persuadé plusieurs milliers de miliciens chiites de venir combattre en Syrie aux côtés du régime de Damas.
De source proche des services de sécurité dans la région, on estime qu’environ 15.000 combattants chiites venus du Liban et d’Irak se trouvent en Syrie. Ils ont contribué aux victoires remportées récemment par le régime, qui a renversé la tendance aux dépens des insurgés après deux années de combats.
Lorsque les insurgés se sont retrouvés dans des secteurs confinés, comme la ville-frontière de Koussaïr, ils ont été en situation de grand désavantage. Koussaïr, près de la frontière libanaise, a été reconquise par le régime avec l’aide du Hezbollah début juin. Les quartiers sunnites de la grande ville de Homs sont durement bombardés et les banlieues de Damas aux mains de l’insurrection sont assiégées.
L’avantage militaire retrouvé récemment par Assad pourrait bien n’être que de courte durée, malgré la pression grandissante exercée sur les insurgés, estiment cependant experts militaires et diplomates.
La chute de Koussaïr et la rhétorique triomphaliste du Hezbollah ont poussé l’Arabie saoudite, sunnite, à agir. Le royaume, dit-on dans les milieux diplomatiques, assume le rôle principal dans le soutien aux insurgés, en coordination avec les Etats-Unis. Les signes d’un regain de soutien pour l’opposition sont visibles à Alep, dans le nord de la Syrie, où l’offensive gouvernementale appuyée par le Hezbollah est pour l’heure bloquée, selon l’opposition.
Même si Assad reconquiert Homs, conserve Damas et emporte les faubourgs jusqu’alors aux mains des rebelles, comme Djobar,Barzeh et Kaboun, il ne dirigera qu’une part considérablement réduite du pays.
DIFFICILE RECONQUETE DU PAYS
Les combattants kurdes renforcent leur emprise sur une région de facto autonome, dans la province céréalière et pétrolière de Hasakah (nord-est du pays).
Des islamistes purs et durs dominent la majeure partie de deux provinces à l’est de Hasakah et ils sont massivement présents à Alep. Assad ne conserve, pour l’essentiel, que Damas et un corridor reliant la capitale à Homs et aux bases militaires de la côte méditerranéenne, bastion alaouite, et aux bastions du Hezbollah au Liban.
Pour Andrew Terrill, chercheur à l’école militaire de l’armée américaine, les insurgés "tiendront" car Assad a perdu un trop grand nombre de régions. "Remporter des batailles n’a rien à voir avec remporter la guerre, car ceux qui subissent les offensives s’en remettront dans une certaine mesure. Les insurgés restent armés et à même de frapper le régime", dit-il à Reuters.
"Assad pourrait l’emporter dans le sens où il pourrait se maintenir au pouvoir et ne pas être évincé directement, mais je n’imagine pas qu’il pacifie le pays, parce qu’il y a à mon sens trop d’insurgés et trop de résistance", analyse-t-il.
De nouvelles armes devraient parvenir aux insurgés d’Arabie, pour rééquilibrer les forces, mais aussi des armes américaines. Salim Idriss, chef de l’Armée syrienne libre (ASL), est attendu cette semaine aux Etats-Unis où il va plaider en faveur de la livraison rapide d’armes américaines.
L’Iran, de son côté, continue d’apporter une aide militaire au régime Assad, mais aussi une aide financière, de l’ordre de500 millions de dollars par mois, selon des sources de l’opposition.
Confronté à la perte de vastes régions au profit des insurgés sunnites, Assad a ajusté sa stratégie ces derniers mois afin de préserver les unités de sa garde prétorienne alaouite -les Gardes républicains, la 4e division et les Forces spéciales- et il a commencé à se reposer sur le Hezbollah, notamment pour reprendre la région de Homs, dans le centre, dit-on de même source.
"Quand dans un secteur l’armée et les milices se heurtent àune vive résistance, elles appellent le Hezbollah pour combattre à leur place", déclare Mohammed Mroueh, membre de la Coalition nationale syrienne (CNS, opposition).
Par Khaled Yacoub Oweis