Débat Hollande-Sarkozy : 3 conseils de comm’ pour réussir leur débat
Le président sortant, sans exercer de contrôle apparent, laisse parler librement son corps. Parfois trop. Celui qui veut prendre sa place semble davantage dans la maîtrise et la retenue. Parfois trop.
Son point fort : il laisse son corps parler
Le candidat de l’UMP appartient à la famille des expressifs. Un récent sondage TNS Sofrès pour iTélé montre que les personnes interrogées créditent le président sortant d’un plus grand dynamisme (52% contre 20%).
Les épaules présidentielles, grandes contributrices de cette perception, ont toujours fait couler beaucoup d’encre durant ce quinquennat. Quand elles "clignent", c’est tout l’être qui vibre, l’épaule droite surtout est associée à une volonté de performance, laquelle se trouve renforcée quand les deux épaules sont en mouvement dans le même sens. Cette gestualité fréquente chez Sarkozy intervient quand il veut emmener l’autre dans "son" univers, c’est le manager qui veut convaincre. Cela ne préjuge pas du résultat, mais en dit long sur le volontarisme.
L’épaule gauche s’ébroue ? C’est la performance avec une notion de défi personnel. Ce n’est pas un hasard, lors de la déclaration de candidature, d’observer plus d’épaule gauche que de droite. Les épaules témoignent de son implication dans les choses, de sa volonté d’être à la hauteur. Les considérer comme des tics nerveux est une ineptie, lui demander de les contrôler est contre-productif. Les épaules sont à relier aux codes gestuels du dominant : doigt pointé, sourcil droit souvent levé (pour mettre à distance son interlocuteur), deux mains participatives, gestes assez élevés, poignets ascendants.
Ce qui fait la force de Nicolas Sarkozy, indépendamment du fait qu’on l’aime ou pas, c’est qu’il ne cherche pas à contrôler son corps, et que, étant plus lisible que d’autres, il est décodé comme plus sincère. Alors que beaucoup d’autres sont consciemment ou malgré eux dans ce que l’on pourrait appeler "la culture du contrôle".
Le point faible : la tentation d’en faire trop
La tentation d’en faire trop, on la rencontre quand les émotions se bousculent et deviennent trop complexes à gérer. Ainsi, par exemple, les mouvements d’épaules peuvent devenir parasites. On peut alors légitimement s’interroger, quand ces mouvements deviennent frénétiques, sur la motivation mi-consciente qu’il y a à vouloir à ce point montrer qu’on est à la hauteur.
Nicolas Sarkozy se soucie peu, en apparence, de l’image qu’il renvoie. En apparence, seulement. Car l’appendice nasal présidentiel fait l’objet de nombreuses micro-démangeaisons. Le corps envoie en effet des influx nerveux compensateurs, lorsqu’il y a un décalage entre la situation que l’on vit, que l’on voit et notre vie intérieure, la façon dont nous vivons la situation, dont nous l’intégrons émotionnellement.
Le fait de gratter apaise la conscience, fait baisser la pression interne. Ainsi, le nez, c’est l’image. Lors du débat avec Ségolène Royal, on se souvient en 2007 que le président se gratta l’aile droite du nez : une gêne relative à l’image de l’autre tandis que la socialiste le tançait vertement et tirait son épingle du jeu, car ce moment lui fut nettement favorable.
Le non-dit ou le contrôle qu’il veut parfois avoir de son discours sont par exemple très visibles sur sa bouche, laquelle peut difficilement faire l’objet d’un contrôle conscient. Beaucoup de muscles se concentrant dans cette zone-clef de notre visage. Cette zone sera particulièrement intéressante à observer dans un contexte de polémiques récentes, notamment autour de Kadhafi.
Les gestes figuratifs, enfin, sont une marque de fabrique de Sarkozy. Ce type de geste l’aide à décrire la réalité, ils la figurent : "distorsions", "convergences", "dans un monde ouvert" se verront attribuer leur équivalent gestuel, de même, que le pouvoir d’achat "s’effondre" ou que le gouvernement lutte pour "réduire" les déficits publics, un geste ad hoc vient renforcer la démonstration verbale, du moins le croit-on.
Y avoir recours trop souvent n’est pas une panacée, l’opinion publique décode comme un embobinage intellectuel – car apanage du menteur – cette configuration de mime. Ainsi, celui qui fabrique des gestes, croyant renforcer sa force de conviction, fabrique en réalité du mensonge, dans la perception que peut en avoir l’opinion publique.
Le conseil : incarner celui qui sait, qui maîtrise, qui explique
Tenir des postures pédagogiques, pour lui permettre de réaliser des gestes projectifs, qui projettent des états d’âme, réalisés dans la zone du thorax et l’inciter plus naturellement à la sérénité. S’il devait être mû par des émotions et des sentiments contradictoires, sous la tension d’un enjeu fort, son tempérament pulsionnel pourrait le conduire à l’agitation. La force n’est rien si elle n’est pas maîtrisée.
François Hollande : le vigilant
Le point fort : une certaine cohérence
Toujours selon un récent sondage TNS Sofrès pour iTélé, le socialiste est davantage perçu comme pédagogue (35% contre 31%), plus déterminé (40% contre 37%) et plus sincère (31% contre 23%). Le fait d’être moins expressif ne le dessert effectivement pas toujours. On n’est pas égaux dans la prise de parole. Le fait d’être davantage dans le contrôle de son discours le fait apparaître plus posé, sans en faire un bon communicant pour autant.
Cette campagne a montré que Hollande savait revêtir le masque de la solennité, le sourcil froncé, une approche discutable si elle est faite consciemment. Mais lorsqu’il est lui-même, son corps libéré livre des expressions finement détectables. Ainsi, on aura pu voir, lorsqu’il évoque les dangers de la spéculation financière, sa paupière gauche parfois tomber plus vite que sa paupière droite, preuve que ce sujet le touche particulièrement, lui tient à cœur. La langue de vipère (sortie subreptice vers l’avant) affichera le vrai rejet de la politique de Sarkozy sur des sujets sensibles comme l’immigration ou au plan moral (le "bling bling", la république pas si irréprochable…).
Les mains se positionnent souvent devant lui, figurant une barrière, ou comme s’il tenait un paquet, à angle droit, doigts écartés. Elles nous renseignent sur sa conception du rapport à l’autre, elles marquent l’égalité. Avec l’interlocuteur ou sa conception égalitaire des sujets abordés.
Le point faible : l’excès de contrôle
Hollande s’est concocté un masque de statue du commandeur, visible désormais dans toutes ses prises de parole. Solennité et gravité marquées par des froncements de sourcils, une bouche verrouillée et peu de clignements de paupières, sauf dans les accents mitterrandiens en meeting, comme par hasard, sans doute la résultante d’un phénomène d’introjection. Voila qui nous renseigne mi-consciemment sur ce personnage consciemment orchestré. Comme si la gravité du clown triste permet de mieux revêtir l’habit présidentiel.
Dans les interventions de Hollande, la main droite s’agite souvent seule, signe qu’il est plus concentré sur le contenu du discours que sur la spontanéité. Et elle s’élève souvent, marquant une certaine autorité. C’est le manque de participation de la main gauche qui est pénalisant, la main de la spontanéité. Hollande est plus dans la logique argumentative, le contrôle du discours, l’élaboration d’une pensée qui se feit en parlant. Ou bien ce sont les mots qu’on essaie de retrouver.
n interview, on peut même ne pas voir ses bras et ses mains bouger pendant un long moment, le langage corporel étant par ailleurs adossé à une rythmique vocale très hachée. Bref, absence de marqueur gestuel spécifique pour séduire et visage peu expressif. Hollande est pourtant un faux plat pays gestuel, comme nous l’avons vu précédemment, pour peu qu’il s’autorise à sortir son propos d’une approche cérébrale.
Il a singé la gestuelle mitterrandienne pendant les meetings et la greffe n’a pas pris. Le pot aux roses a été découvert très vite. La grammaire gestuelle des politiques est de plus en plus familière aux observateurs de la vie politique et à l’opinion, tant leurs visages nous sont devenus de plus en plus familiers, à la faveur du poids de l’image dans notre société. Un élément sous-estimé par son entourage. C’est là la limite de "la fabrique des gestes" et l’aveu d’un échec à faire trouver au candidat son style.
Est-ce enfin parce que l’enjeu approche ? Hollande montre souvent des signes de maîtrise de son discours, comme par peur d’aller trop loin, trop vite, trop fort, de déraper. Cela se lit sur ses lèvres tantôt mordillées, tantôt rentrées dans la bouche (bouche dite "en huître"). Le candidat normal est sous pression. Celle de celui qui a tout à gagner est sans doute plus grande que celle de celui qui n’a plus forcément grand chose à perdre.
Le conseil : redevenir François Hollande
Faire passer plus de spontanéité en étant moins dans l’explication, le cérébral, le logos, les arguments, d’une certaine façon moins pédagogue. Mettre en avant ce qui le touche, ce qui le fait vibrer, ce qui le meut et l’émeut. Retrouver le chemin de la distanciation par l’humour, sans céder à l’ironie facile afin de se reconnecter avec lui-même.
La gestuelle et les mimiques s’aligneront. Le changement, il doit l’incarner physiquement et émotionnellement.
Gestuelle : trois règles à respecter pour les deux candidats
1. Accepter ses émotions : en 2007, la colère de Ségolène Royal fut un moment de vérité qui la fit sortir de la "culture du contrôle", même s’il ne fut pas suffisant pour la voir emporter le morceau. L’opinion ne veut plus voir des machines mais des êtres humains. Celui qui incarne le mieux son discours l’emporte. C’est d’ailleurs un des éléments qui firent le succès de Sarkozy en 2007. Le plus expressif est primé, celui qui montre le plus ses émotions aussi.
Sur ce point : avantage à Sarkozy.
2. Libérer les gestes, aller dans spontanéité : c’est sans doute le plus difficile à faire alors que tout est contrôlé au millimètre et que la tentation est grande d’amener des "éléments de langage corporels". Fabriquer des gestes, c’est fabriquer du mensonge : l’un a singé son mentor François Mitterrand toute la campagne et l’autre a une tendance fâcheuse à mimer son propos. Et qui plus est, 95% du langage corporel ne peut faire l’objet d’un contrôle conscient. D’où la nécessité de livrer une émotion juste plutôt que juste des émotions calculées, fabriquées.
Sur ce point : avantage pour aucun.
3. Observer l’autre plutôt que soi-même. Si Ségolène Royal avait été plus sensible qu’elle ne l’a été au langage corporel de Sarkozy, elle fait juste mention après-coup que son regard est fuyant, sans doute se serait-elle sentie encore plus forte pour donner le coup de grâce. Ainsi, dans le débat de 2007, l’UMP se tient la glotte longuement (angoisse de la prise de parole). Une micro-démangeaison intervient sur le nez droit (l’autre me dérange), les rides de la peur apparaissent sous forme de vaguelettes sur le front. Les deux yeux présidentiels clignent comme lorsqu’il perd le contrôle, ce que confirme un rictus bilatéral arrière de la bouche, et les clignements de l’œil gauche ponctuent des émotions négatives. Cette chaîne d’items est visible sur les quelques dernières minutes de l’accrochage. D’où l’importance de développer une sensibilité à ce que le corps de l’autre exprime. Celui qui est un livre ouvert rend service à son interlocuteur.
Sur ce point : avantage Hollande.
Conclusion :
Sarkozy est le surexpressif, Hollande, le vigilant. S’ils devenaient Nicolas le Pédagogue et François le Spontané, ils pourraient alors élever le débat pour le rendre plus démocratique que polémique.
(Source LePlusnouvelobs)