France: « Il est recommandé d’enterrer les défunts et d’exhumer les dépouilles après pour un rapatriement », selon M. Moussaoui

Face à la perte d’un proche s’ajoute l’impossibilité de respecter les dernières volontés du défunt. Celles d’être enterré dans son pays d’origine. En France, cette double souffrance empêche les familles originaires du Maghreb de faire leur deuil. D’où leur colère et leur désarroi.  Avec la pandémie du coronavirus, les restrictions drastiques s’appliquent aux morts comme pour aux vivants. Le président du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui revient sur cette question si sensible pour les proches des victimes du Covid-19. Selon M. Moussaoui, il est recommandé d’enterrer les défunts et d’exhumer les dépouilles après pour un rapatriement s’il est autorisé.

Atlasinfo:  Avec la suspension temporaire du rapatriement des dépouilles, quelles alternatives restent aux familles doublement éprouvées : enterrer puis exhumer pour rapatrier la dépouille une fois la pandémie du Covid-19 passée ?

Mohammed Moussaoui: De point de vue théologique, l’exhumation des corps et leur rapatriement vers un autre lieu d’inhumation est unanimement autorisée lorsqu’il y a une raison à le faire. C’est le cas actuel avec la pandémie du Covid-19 qui suspend le rapatriement des corps..

Premièrement, le respect de la volonté du défunt est une raison valable pour son rapatriement. Deuxièmement, le fait que les concessions perpétuelles ne sont plus offertes dans la quasi-totalité des cimetières municipaux de France, fait partie également de ces raisons. En effet, la crainte de ne pas pouvoir prolonger la concession à son expiration pousse aux choix du rapatriement. Le Conseil Français du Culte Musulman, conscient de cette situation, étudie la possibilité de créer un fond dédié pour renouveler le bail des concessions funéraires lorsqu’il n’est pas assuré par la famille du défunt.     

Peut-on laisser les cercueils chez un dépositaire en attendant la réouverture de l’espace aérien et l’autorisation de rapatrier les corps ?

M.M: Comme le rapatriement est temporairement impossible, il est recommandé d’enterrer les défunts sans attendre un hypothétique changement de situation. Nous savons que le contexte est évolutif et imprévisible face à cette pandémie. La réglementation de chaque pays ainsi que les conventions internationales ne sont pas à l’abri d’ajustement en fonction des informations et de connaissances disponibles sur la pandémie. Il est souhaitable d’enterrer le défunt là où il est décédé et envisager plus tard une exhumation si elle est  possible. Il n’est pas raisonnable de garder le cercueil chez un dépositaire pour une durée indéterminée. Il y a le risque que l’attente soit longue.

La prophète Muhammad- paix, salut et bénédiction sur Lui- nous apprend que les défunts en période d’épidémie sont élevés au rang des martyrs qui sont constamment sous la protection divine là où ils sont. Que les familles aient confiance dans la volonté du Très Miséricordieux. C’est à lui que nous devons confier le sort de nos défunts, là où ils se trouvent.

 Les carrés musulmans dans les cimetières français sont presque saturés. Comment faire accepter aux familles de confession musulmane d’enterrer leurs proches ailleurs que dans un carré musulman ?

M.M: Dans la perspective d’éventuel manque d’espaces de sépultures musulmans dans les cimetières municipaux, j’ai demandé au Président de la République, M. Emmanuel Macron, la création de nouveaux espaces dédiés aux victimes du Covid-19. Cette démarche a été unanimement soutenue par les autres cultes de France.

Le Président de la République m’a assuré que tout sera mis en œuvre pour permettre aux défunts de toute confession et de toute condition d’être inhumés dans le respect de leurs rites respectifs. Les seules limites, celles qui visent à protéger les vivants et à limiter les effets de cette épidémie, sont déjà mises en œuvre avec le concours des différentes communautés religieuses.

Près de 600 espaces de sépultures musulmans existent en France, ils étaient 70 en 2008. Le nombre est faible et l’évolution est réelle mais reste modeste.  Aussi, j’ai saisi le président de l’association des Maires de France, M. François Baroin pour qu’un effort soit fait du côté des communes qui ne disposent pas encore de ces espaces confessionnels.

Sur le terrain, nous arrivons pour l’instant, non sans difficultés, à trouver des solutions pour les défunts dans les communes voisines. Mais la tension est palpable.

Des familles exigent le lavage mortuaire selon les rites musulmans. Mais un décret français interdit formellement tout lavage mortuaire…

MM: Je sais combien cette situation est douloureuse pour les familles endeuillées. Ne pas pouvoir accomplir les rites funéraires habituels telle que la toilette mortuaire ( farâ’id al-ghus) est une situation qui n’est pas facile à accepter ni à supporter. Cependant, nous ne devons pas perdre de vue que les rites funéraires en islam ne prennent pas toujours la même forme. Il faut savoir par exemple que les martyrs de guerre doivent être enterrés sans aucune toilette mortuaire. 

Toujours selon la tradition musulmane, la toilette mortuaire n’est pas réalisée pour les défunts décédés dans les contextes de pandémie si cette toilette présente un risque pour les laveurs. Or, ce risque est réel, même si les laveurs prennent toutes les précautions nécessaires. Des soignants et soignantes sont décédés dans le cadre de leur mission et d’autres sont entre la vie et la mort, et ce malgré leur expérience et les précautions qu’ils ont prises.

Il n’est donc pas responsable d’exposer ces laveurs (femmes et hommes) ainsi que leurs proches au risque d’être contaminés.  Ayons notre confiance et notre espérance en Dieu le Très Miséricordieux qui a élevé les défunts des pandémies au rang des martyrs et qui a certainement prévu pour eux mieux que notre toilette mortuaire.

A quel moment interviennent les pompes funèbres musulmanes ?  

Concrètement, si le défunt est atteint du Covid19, c’est le personnel médical qui met le corps dans une housse mortuaire étanche hermétiquement close avant de quitter la chambre. La housse, qui ne doit en aucun cas être ouverte, est couverte d’un drap blanc en guise de linceul (Kafane). Ensuite le corps est transféré vers la chambre mortuaire – toujours à l‘hôpital – où il est déposé, le temps que les pompes funèbres apportent le cercueil. C’est également le personnel de santé qui met le corps dans le cercueil. Une fois le cercueil scellé en présence d’un dépositaire d’autorité, les pompes funèbres le récupèrent pour l’enterrement. La prière mortuaire est assurée dans le cimetière avec la présence d’un nombre très réduit des proches du défunt, entre 5 et 20 maximum selon les Départements.

S’agissant des corps des personnes décédées et non reconnues comme atteints de (Covid19), il convient de préciser que le Haut Conseil de la Santé publique (HCSP) a indiqué que des défunts pourraient ne présenter aucun symptôme apparent avant leur décès tout en étant atteints du Covid 19C’est pour cette raison que les hôpitaux ont également interdit toute toilette mortuaire y compris pour les cas non-covid 19. Cet avis rejoint celui de la tradition musulmane qui recommande la suspension de toute toilette mortuaire dans un contexte de pandémie pour éviter aux laveurs tout risque possible.

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