« Burqa : ce qu’il aurait fallu faire… »
…et qu’il est toujours temps de faire ! ». > Alors que le projet de loi sur l’interdiction du port du voile intégral serait examiné à l’Assemblée au début de la session extraordinaire, en juillet, Dominique Sopo, président de SOS Racisme revient sur le sujet.
Le débat relatif à la loi sur la burqa constitue le dernier avatar de cette séquence nauséabonde car je prétends qu’il est issu principalement non pas d’une préoccupation féministe mais d’une volonté non dite de stigmatiser une partie de la population en se drapant dans les habits des plus nobles idéaux. Cela signifie t’il que la question de la burqa ne devrait guère intéresser les pouvoirs publics ? Certes non car il est évident qu’elle constitue un signe d’oppression visant à matérialiser dans l’espace public et à faire intérioriser par les femmes un ordre patriarcal incompatible avec la dignité de la femme.
D’où proviennent alors ce malaise et l’absence de consensus républicain autour de cette question ? Pour quelques soutiens au projet de loi gouvernemental, la réponse est simple : les opposants à ce projet de loi sont soit de faux féministes, soit des naïfs qui ne comprendraient pas à quel niveau se situent les enjeux. Pour tout dire, une telle lecture des choses est le poussif prolongement de l’indigence intellectuelle dans laquelle notre pays semble plongé depuis que la volonté de la majorité de légiférer sur la burqa a considérablement augmenté – et cela concomitamment avec le constat d’un score élevé du Front National aux élections régionales –. En réalité, de tels positionnements visent assez grossièrement à éviter d’avoir à avancer des arguments un tant soit peu solides.
Mais les promoteurs les plus zélés de ce projet de loi ne pourront éternellement éluder les questions qui fâchent. Et elles sont nombreuses tant ce projet de loi se trouve être l’alliance parfaite du crétinisme et de la démagogie.
Tout d’abord, comme le releva le Conseil d’Etat – saisi par le Gouvernement -, une interdiction générale de la burqa dans l’espace public serait vraisemblablement contraire à la Constitution et à la Convention Européenne des droits de l’Homme. Passant outre cet avis, le Gouvernement a choisi de déposer un projet de loi prévoyant … l’interdiction générale de la burqa dans l’espace public. Devant cette situation, le Premier Ministre affirma même être prêt à « prendre des risques » juridiques. Mazette ! Le gouvernement, garant de l’ordre républicain et adepte de la « tolérance zéro » au moindre fait de délinquance urbaine, serait donc prêt à s’asseoir sur la légalité républicaine pour faire passer une loi présentée comme inspirée par les valeurs les plus hautes de la République ? Le fait, suffisamment grave pour être relevé en soi, l’est bien plus qu’on ne le pense au premier abord. En effet, de quoi s’agit-il quand on parle de burqa sinon de lutter contre une déclinaison pratique de l’islamisme ? Or, ce qui caractérise les islamistes ainsi que tous les intégristes religieux, c’est d’affirmer que les normes issues des textes qu’ils prétendent sacrés – dont seule leur interprétation est valable à leurs yeux – sont supérieures aux normes démocratiques et républicaines. Autrement dit, le Gouvernement abaisse le débat à un combat dont l’arbitre ne serait plus la légalité républicaine mais un rapport de force circonstanciel. On remarquera en outre que si un Gouvernement est prêt à tourner le dos à la légalité républicaine pour proscrire au plus 2.000 voiles intégraux de l’espace public, il est à imaginer les situations dans lesquelles une dramatisation habilement mise en scène justifieront les mêmes entorses.
Ensuite, le projet de loi pose le problème de la pertinence des sanctions et de leur applicabilité. En effet, le projet de loi prévoit que les personnes portant une burqa ou un niqab seront verbalisables. Etrange, car de deux choses l’une. Soit les personnes qui portent ces vêtements sont des victimes et, dans ce cas, il serait étrange que la victime d’une pratique soit la personne sanctionnée. Soit elles sont des militantes politiques et, dans ce cas, la question de la dignité de la femme mise en avant depuis plusieurs mois n’est plus invocable. Au-delà de ce problème de logique élémentaire, qu’en est-il de l’applicabilité du projet de loi présenté par le Gouvernement ? Bien faible, aux dires mêmes des soutiens au texte qui d’ailleurs, lorsque cette dimension leur est évoquée, font preuve, en privé, d’un silence gêné ou affirment que le problème n’est pas l’applicabilité mais le symbole. Mais imaginons que le Gouvernement fasse adopter ce projet et qu’il cherche à le faire appliquer. Concrètement, cela voudra dire que des agents de police iront dans les quartiers les plus ghettoïsés – c’est-à-dire là où le problème se pose – pour enjoindre les femmes à ôter leurs burqas et les verbaliser le cas échéant. On voudrait préparer une confrontation qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et si cette dernière avait lieu, n’entend-on pas déjà la vague de populisme qui crierait alors : « Les musulmans ont pris le pouvoir ! Ils font obstacle à la loi républicaine ! Nous ne sommes plus chez nous ! ».
Enfin, le projet de loi s’inscrit dans un contexte de racisme que nous avons déjà évoqué et sur lequel il n’est nul besoin de revenir. Ce contexte aurait pu être contrebalancé par une prise de hauteur républicaine des protagonistes de ce débat. Mais force est de constater qu’il n’en a rien été. On est à cet égard bien loin des débats relatifs à l’interdiction des signes religieux à l’école qui avaient été menés avec patience et brio par la commission Stasi, qui s’était attachée à évoquer le terreau, les réponses à apporter et les voies à emprunter avec comme boussole la laïcité. En ce qui concerne la burqa, le débat fut posé en des termes bien médiocres dès le départ et eut pour cadre une mission parlementaire dont les conclusions ne sont pas à la hauteur des enjeux : flou dans les valeurs au nom desquelles on prétend légiférer, absence d’évocation du terreau social et de l’idéologie islamiste, dimension religieuse étrangement éludée apparaissent d’emblée comme autant de tares au rapport de cette mission qui aura ouvert un débat qu’elle ne pouvait de ce fait conclure sans conteste, au grand dam aujourd’hui d’Eric Raoult au constat par ce dernier de la surenchère de son collègue Copé.
Qu’eut-il alors fallu faire ?
Tout d’abord être au clair sur ce qui se trouve combattu concernant la burqa. Et dire, avec simplicité et clarté, qu’il s’agit d’un problème de dignité des femmes au niveau individuel et d’un problème d’islamisme au niveau global.
Il eut ensuite fallu analyser les dispositions légales existantes permettant de protéger les femmes contre une pratique visant à les inférioriser dans le champ privé et dans le champ social. Ce qui ne fut guère fait avec sérieux car, dès l’origine du débat, la conclusion était toute trouvée : il fallait cette fameuse loi, quel qu’en fut son périmètre.
Il aurait en outre fallu conclure sans aucun doute à la nécessité de renforcer les dispositions anti-sectes puisque, dans nombre de situations, la femme portant burqa se trouve en état d’embrigadement. Une telle approche aurait permis de cibler non pas la victime, comme dans le projet de loi gouvernemental, mais bien l’auteur de l’embrigadement. Elle aurait également permis de ne pas induire l’idée que, face à des défis que poserait l’Islam, une législation exorbitante du droit commun serait nécessaire. Mais le renforcement de la législation sur les sectes ne semble guère faire recette depuis quelques années. Cette législation se trouva même étrangement assouplie par la grâce d’un amendement parlementaire qui permit fort opportunément à l’Eglise de Scientologie d’échapper à la dissolution. Etrange pour un pouvoir qui se prétend aujourd’hui si inquiet du droit et de la dignité des femmes de n’en avoir rien dit alors que nul n’ignore que les principales victimes des sectes sont les femmes et les enfants. Mais c’est sans doute le même manque de vigilance de la part du Gouvernement qui aboutit à la remise en cause répétée des subventions au Planning familial qui, avec ses centres, œuvre au quotidien à l’effectivité des droits et de la dignité des femmes.
Il aurait par ailleurs fallu prévoir des enquêtes sociales dans les familles où le port de la burqa était constaté. Ce qui, en plus de connaître avec bien plus de finesse le phénomène et sa dynamique, aurait permis d’identifier les cas d’embrigadement et leurs auteurs ainsi que d’éloigner le risque d’une confrontation police/quartiers. Mais évidemment, des enquêtes des services sociaux, c’est moins vendeur qu’une loi pour les JT du 20h !
Il aurait également fallu analyser les causes de la présence de burqas sur le territoire français. Evidemment, cela aurait peut-être occasionné quelque gêne à nombre de responsables politiques. Car ces causes, que la commission Stasi avait d’ailleurs commencé à évoquer en préconisant de les traiter, renvoient à la défaillance des élus républicains (de tous bords…) sur deux plans.
Tout d’abord, l’absence de prise en considération sérieuse des logiques de ghettos et de discriminations, logiques propices au repli identitaire quand on a l’impression que la seule chose à laquelle on peut se raccrocher, c’est son identité, d’autant plus considérée comme « solide » aux yeux de ceux qui s’y raccrochent qu’elle s’enracinera dans un passé rétrograde. Cette analyse sommaire permet par ailleurs d’expliquer pourquoi, en France, le voile intégral est une manifestation essentiellement rencontrée dans les quartiers ghettoïsés.
Ensuite, la façon dont les responsables politiques favorisent le communautarisme en considérant fréquemment les personnes d’origine étrangère comme les membres d’un troupeau communautaire. C’est ainsi que les responsables politiques offrent souvent comme seule ressource à ces personnes le fait de jouer la carte du communautarisme. Quand vous n’avez pas grand-chose dans la vie et que l’on vous fait comprendre que vous n’existerez dans le champ politique et social que si vous faites la preuve que vous êtes le représentant des « vôtres », la tentation sera forte que vous fassiez tout pour le devenir effectivement, ou tout au moins faire croire que vous l’êtes. On notera en outre que cette vision communautarisée des populations d’origine étrangère se marie fréquemment avec une légitimité accordée à ceux dont on estime qu’ils représentent « vraiment » les leurs. C’est ainsi que, de ce fait, de nombreux élus firent et continuent à faire le jeu des réseaux islamistes – par exotisme et par l’illusion que la paix sociale est à ce prix – au détriment des associations républicaines et laïques et favorisent ainsi très directement ce qu’ils font mine aujourd’hui de dénoncer, sans même avoir la décence de s’engager à mettre fin à de telles pratiques.
La question de la burqa doit ainsi être vue comme le symptôme de ces défaillances et donc comme une réalité devant être approchée comme un problème de la société française et non comme un problème dépourvu de cause ou que l’on résoudrait en se débarrassant de quelques métastases étrangères. C’est bien pourtant ce à quoi on nous invita implicitement il y a quelques jours avec cette ahurissante histoire de déchéance de la nationalité française envers un musulman intégriste ! Ne pas approcher la question de la burqa comme un problème ayant des causes autres que celle de la présence de « bougnoules » sur le territoire national, c’est aussi et surtout poser les jalons d’une action en profondeur pour la dignité des femmes et pour le recul des tentations islamistes. Bien loin de l’illusion autoritaire qui voudrait qu’un progrès se décrète par la grâce de la seule loi et bien loin de cette tentation, en guise de lutte contre la burqa, de faire revêtir aux musulmans – ou considérés comme tels – un long manteau d’infamie.
Concrètement, cela se traduirait ainsi :
– une résolution parlementaire dans laquelle les élus de la République appelleraient à mettre fin à des pratiques qui ont fait le jeu des replis identitaires et de la fragilisation de la parole républicaine dans les quartiers ghettoïsés ainsi qu’à réorienter partiellement les enquêtes sociales vers le contrôle de l’effectivité du respect de la dignité des femmes (au-delà même, d’ailleurs, de la question de la burqa).
– le renforcement des dispositions anti-sectes.
– la définition d’une politique publique d’envergure afin de lutter contre les logiques de ghettos.
– la mise en chantier d’un travail parlementaire visant au renforcement de la législation anti-discrimination.
Une telle séquence nous placerait bien loin du fumet de racisme que nous sentons autour de ce débat et replacerait l’exigence républicaine au cœur de l’action des institutions et des élus. Un rêve ?