Armer l’opposition syrienne, une option risquée
Le Qatar et l’Arabie Saoudite militent pour l’envoi d’armes pour aider les insurgés à résister à la répression menée par l’armée de Bachar el-Assad. Mais les États-Unis craignent que de telles livraisons n’atterrissent dans les mauvaises mains.
La solution peut paraître séduisante. Les soldats occidentaux n’auraient pas à risquer leur vie, et la communauté internationale aurait l’impression de faire plus que multiplier les condamnations verbales.
Les pays du Golfe, désireux de faire tomber le régime de Bachar el-Assad, maillon de l’axe pro-iranien, se sont prononcés en faveur de cette voie. «Nous devrions faire tout ce qui est nécessaire pour les aider (les opposants, ndlr), y compris leur fournir des armes pour qu’ils puissent se défendre» a ainsi déclaré lundi le premier ministre du Qatar, Hamed ben Jassem al-Thani. «Ce soulèvement a maintenant un an. Pendant dix mois, il était pacifique: personne ne portait d’armes, personne ne faisait quoi que ce soit (de violent). Et Bachar a continué à les tuer. J’estime par conséquent qu’ils ont raison de se défendre avec des armes et je pense qu’on devrait aider ces gens avec tous les moyens nécessaires». Le ministre saoudien des Affaires étrangères Saoud al-Fayçal a quant à lui estimé vendredi dernier que c’était «une excellente idée».
En réalité, les pays du Golfe n’ont pas attendu l’aval de la communauté internationale pour passer discrètement à l’acte. «Cela fait six mois que le Qatar et l’Arabie Saoudite aident les rebelles en leur achetant des armes , qui transitent par le Liban et l’Irak», affirme Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2.
Aux États-Unis, John McCain a appelé les Etats-Unis à «envisager toutes les options, y compris celle consistant à armer l’opposition» pour faire cesser «le bain de sang».
Al-Qaida a «infiltré» les groupes de l’opposition
Toutefois, le sénateur républicain risque fort de ne pas être entendu. De fait, les États-Unis et l’Europe ont de multiples raisons de s’abstenir et ne s’en cachent pas. «Nous ne voulons pas prendre de mesures qui contribueraient à une plus grande militarisation de la Syrie» a ainsi tranché le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney. De fait, s’il est avéré que l’Europe ou les États-Unis envoient des armes aux rebelles syriens, Assad pourra compter sur ses alliés russe et iranien pour lui en livrer encore plus pour y faire face.
Mais ce qui inquiète le plus les Américains, c’est le risque que les armes tombent dans les mains d’al-Qaida. «Nous ne savons vraiment pas qui pourrait être armé», a en effet expliqué dimanche Hillary Clinton dans un entretien à la chaîne CBS News. Sans doute la secrétaire d’État a-t-elle en tête les conséquences non voulues de l’aide que les Américains avaient apporté aux talibans pour combattre les Russes en Afghanistan à fin dans les années 70. «Soutenons-nous al-Qaida en Syrie?», s’est-elle interrogée avant d’ajouter: «Le Hamas soutient maintenant l’opposition. Soutenons-nous le Hamas en Syrie?»
N’en déplaise à l’opposition, qui se passerait volontiers du soutien embarrassant d’al-Qaida, le réseau islamiste semble de plus en plus présent en Syrie, où il compte bien participer à la chute du régime «laïc impie» de Bachar el-Assad. Mi-février, le chef d’al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, a manifesté dans une vidéo son soutien à la contestation. Et, pas plus tard que mercredi, un groupe islamiste, le Front Al-Nusra, a revendiqué dans une vidéo les récents attentats meurtriers à Damas et à Alep. Cette revendication confirme l’hypothèse émise il y a quelques semaines par le patron du renseignement américain, James Clapper, qui affirmait qu’al-Qaida en Irak étendait son action en Syrie. Ces combattants djihadistes auraient réussi à «infiltrer les groupes de l’opposition» qui «dans de nombreux cas ne sont pas au courant de leur présence» avait-t-il expliqué aux sénateurs. Leur arrivée sur le sol syrien est finalement peu surprenante. S’ils ont réussi à passer de Syrie en Irak pour gonfler les rangs de l’insurrection anti-américaine, rien ne les empêche aujourd’hui de repartir dans l’autre sens.