Devant le refus d’Israël de présenter des excuses pour ce raid, qui a coûté la vie à neuf militants turcs sur le "Mavi Marmara" dans les eaux internationales, et de dédommager les victimes et leurs familles, Ankara a pris, suite à la publication du rapport onusien, des mesures de rétorsion fermes à l’égard de Tel-Aviv, sans aller toutefois jusqu’à la rupture totale des relations diplomatiques.
En effet, la Turquie a renvoyé sèchement l’ambassadeur de l’Etat hébreu et réduit la représentation israélienne sur son sol au niveau du 2-ème secrétaire. Elle a aussi suspendu les accords militaires avec son ancien allié et menacé de saisir la cour internationale de justice. Ankara a également annoncé la suspension de tous ses échanges avec Israël en matière de défense, évoquant même la possibilité de faire escorter d’éventuelles flottilles humanitaires turques destinées à Gaza par sa marine de guerre.
Devant la montée du ton et les avertissements de la Turquie, Israël garde un profile bas tout en soulignant la gravité des déclarations et de la position turques. "Ces déclarations sont graves et difficiles mais nous ne voulons pas alimenter la polémique", disait le ministre israélien en charge du Renseignement, Dan Meridor, au moment où son collègue de l’Information, Youli Edelstein, exprimait le souhait de voir "le bon sens l’emporter en Turquie".
Mais sur le terrain, le divorce entre les deux pays, liés par un accord de coopération militaire, semble être totalement consommé. Des ressortissants turcs en Israël et des Israéliens en Turquie ont déjà goûté aux conséquences de ce divorce.
Israël, qui a mis fin à sa coopération policière avec la Turquie en affectant le représentant de sa police à Ankara en Roumanie, a annoncé qu’un groupe de citoyens israéliens ont été retenus une heure et demie à l’aéroport d’Istanbul où ils ont subi des interrogatoires détaillés, au moment où l’Agence de presse officielle turque relatait des scènes similaires à l’aéroport de Tel-Aviv.
La crise du "Mavi Marmara" intervient alors que les relations Turco-israéliennes étaient déjà tendues, ce n’est que la goûte qui a fait déborder le verre, estimaient les observateurs. Ankara n’a pas bien digéré le pilonnage disproportionné du territoire libanais en 2006 et l’invasion sauvage de le bande de Gaza en 2008.
Depuis, les dirigeants turcs, le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, en tête, ne mâchent pas les mots pour dénoncer la politique d’Israël dans la région. Fin 2010, Ankara est allée jusqu’à pointer Israël comme une menace majeure et une source d’instabilité dans la région. Ankara n’a pas oublié que l’invasion de la Bande de Gaza en 2008 et ses milliers de morts est intervenue deux semaines après la visite en Turquie du ministre israélien de la Défense, Ehud Barak, et voit dans ce geste une humiliation de la part d’un "allié" dans la région.
La détérioration des relations avec Israël a été accompagnée par une politique de rapprochement stratégique avec plusieurs pays arabes et islamiques notamment la Syrie, l’Irak et l’Iran, des pires ennemis d’Israël, qui se trouve de ce fait de plus en plus isolée dans la région. Dans son bras de fer avec Tel-Aviv, le gouvernement turc se trouve soutenu et encouragé par tout un peuple très sensible à la question palestinien et qui voit dans l’affaire du "Mavi Marmara" une atteinte profonde à son nationalisme si cher. Cette position clairement affichée contre la politique d’Israël a valu également à la Turquie une grande popularité dans plusieurs pays arabes et islamiques, comme en témoigne l’accueil réservé à Erdogan lors de son déplacement la semaine dernière en Egypte, en Tunisie et en Libye. Ce soutien populaire à l’intérieur comme à l’extérieur encourage les dirigeants turcs à aller de l’avant et à prendre des positions audacieuses sur ce registre. Le refus d’une éventuelle médiation américaine dans le différend turco-israélien s’inscrit probablement dans ce cadre.