Alain Juppé et la nouvelle équation tunisienne

Alain Juppé et la nouvelle équation tunisienne
Comment rattraper un train manqué ? En prenant le suivant. Dans la dernière ligne droite présidentielle de 2012, le Quai d’Orsay et son amiral, Alain Juppé, vont tenter de recoudre une complicité franco-maghrébine mise à mal par les bouleversements du Printemps arabe. Avant Rabat, c’est à Tunis, le 5 janvier, que le chef de la diplomatie française va tenter, après une première visite en avril, de faire oublier plus de 20 ans de compromissions françaises avec le régime Ben Ali, longtemps présenté comme « rempart » contre l’islamisme radical.

Realpolitik oblige, de François Mitterrand à Nicolas Sarkozy, en passant par Jacques Chirac, Paris n’avait pourtant ménagé aucun effort pour louer les acquis du bilan économique (tourisme, agriculture, banque, nouvelles technologies) et social (éducation, droits de la femme) présenté par le successeur de Bourguiba. Mais, même martelée à chaque retrouvailles franco-tunisiennes, la propagande sur la « marche en avant » du régime Benaliste n’a pas résisté à l’insolente corruption du clan présidentiel ni à l’exaspération de la rue tunisienne, totalement bridée dans sa liberté d’expression et condamnée à un simulacre d’expression démocratique complètement verrouillée par l’appareil du RCD (rassemblement constitutionnel démocratique). Ce régime est devenu « une insulte à l’intelligence du peuple tunisien » martelaient il y a encore un an les opposants au clan Ben Ali devenu autiste dans son Palais de Carthage.

Et la presse occidentale (anglo-saxonne en particulier) n’a pas manqué de souligner la « cécité absolue » de la France, partenaire diplomatique, économique, commercial et culturel privilégié de la Tunisie, quant à l’état de pourrissement avancé du régime. Les maladresses de Michèle Alliot-Marie, l’ex-ministre française des Affaires étrangères, sur le fameux « savoir faire » français en matière de maintien de l’ordre dès le début de la révolution tunisienne tout comme sa proximité douteuse avec le clan Ben Ali, avaient précipité sa propre chute et rendu incontournable son remplacement au Quai d’Orsay par Alain Juppé. Revenu dans ce ministère où il a gardé de nombreux alliés de l’ère Jacques Chirac, le maire de Bordeaux doit maintenant, après une première visite en avril, renouer avec le nouvel exécutif tunisien dominé par les islamistes d’Ennhada. Fin octobre, Alain Juppé avait conditionné l’aide du G8 à la Tunisie au respect des valeurs démocratiques. "Nous allons mettre en place une aide économique massive à la Tunisie (..) nous l’apporterons dans la mesure où les lignes rouges ne seront pas franchies. Je pense que c’est important d’avoir cette conditionnalité", avait-il ajouté, en citant le respect de l’alternance démocratique, des droits de l’homme, et de l’égalité hommes-femmes.

"Nous n’avons pas besoin d’une telle parole pour respecter les droits de l’Homme. Cela fait partie de nos valeurs et de notre religion et les Tunisiens n’acceptent pas les aides conditionnées", avait sèchement rétorqué Rachid Ghannouchi, patron d’Ennhada.

Le président tunisien Moncef Marzouki n’avait quant à lui pas manqué l’occasion pour appeler à la « fin de l’esprit colonial » et tacler Paris sur sa « mauvaise compréhension du monde arabe ».

Bref, si Alain Juppé veut renouer durablement avec Tunis et son régime islamiste issu des urnes, il devra aller plus loin cette fois-ci que de belles phrases sur « le rôle pionnier » de la Tunisie en matière de transition démocratique. Il lui faudra aussi démontrer sa sincérité, et celle du président Sarkozy, de mettre en place un partenariat sincère, authentique mais, surtout, lucide.

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