« Al-Qaida au Maghreb islamique s’est concentrée par défaut sur le Sahara » (Le Monde)
Jean-Pierre Filiu, professeur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po et auteur de l’ouvrage Les Neuf Vies d’Al-Qaida (Fayard, 2009), décrypte le rôle joué par Al-Qaida au Maghreb islamique, organisation à l’origine de l’enlèvement du Français Michel Germaneau.
Jean-Pierre Filiu : AQMI est la transformation, en janvier 2007, par intégration dans le réseau de Ben Laden, du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Un groupe qui a lui-même été fondé, en 1998, par dissidence du Groupe islamique armé (GIA). Il s’agit donc d’une dissidence de dissidence, pour sortir de l’impasse algérienne dans laquelle l’organisation se trouvait depuis déjà quelques années.
L’internationalisation est un objectif frustré pour différentes raisons. L’AQMI s’est concentrée et rabattue, par défaut, sur le Sahara. Une région dans laquelle elle était déjà présente et où elle a intensifié ses actions en ouvrant de nouveaux fronts, notamment au Niger, en 2009. Elle a, effectivement, recruté des membres de différentes nationalités africaines comme simples fantassins, mais en conservant cette hiérarchie algérienne. Tous les chefs opérationnels sont algériens.
Que ce soit avec l’enlèvement de Pierre Camatte, de Michel Germaneau ou avec la récente attaque des onze gendarmes algériens à l’extrême sud du pays, on a l’impression que leurs actions se concentrent beaucoup dans le nord du Mali. Pourquoi ?
C’est, là encore, par défaut, même si cela n’enlève rien au sérieux de la menace. Lors de la création de l’AQMI, l’objectif qui lui était assigné par Ben Laden, c’était l’Europe. Rien de tout cela ne s’est passé, ce qui explique les attaques contre les touristes français en Mauritanie dès décembre 2007 ou encore contre l’ambassade de France à Nouakchott, en 2009. La même année, il y a eu l’assassinat d’un haut responsable des renseignements maliens. Un signe de plus.
On a ainsi peu à peu vu monter en agressivité l’une des deux katibas (brigades) qui composent l’AQMI au Sahara. C’est celle d’Abou Zeïd qui est responsable de la plupart des accrochages, des attaques et des provocations de ces derniers mois.
La Mauritanie est-elle également une proie pour AQMI ?
La Mauritanie est, traditionnellement, le front de Belmokhtar, depuis 2005, où il avait attaqué un poste militaire mauritanien. Mais il se réservait une zone de repli au Mali. On constate qu’Abou Zeïd, qui a ouvert un front au Niger et amorcé une escalade militaire dans le nord du Mali, se fortifie tout en rivalisant avec Belmokhtar. On est donc dans une violence surajoutée.
Que sait-on au juste d’Abou Zeïd ?
Abou Zeïd est plus âgé que Droukdal, l’émir en chef d’AQMI, et que Belmokhtar, patron de sa katiba depuis plus de dix ans. Il souffre a à l’évidence du syndrome du parvenu. Il est à l’origine de la plupart des enlèvements, dont celui des Autrichiens dans le sud de la Tunisie, en février 2008, et celui de l’envoyé spécial canadien de l’ONU et de son adjoint en décembre 2008. Il fait preuve d’une très grande audace en termes opérationnels. C’est sa plus grande force, avec également le fait qu’il est relativement nouveau au sein du réseau.
Il vient, comme les autres, des maquis du nord de l’Algérie. Il a traversé toutes les années violentes : il était au GIA, puis au GSPC puis à AQMI. Il a survécu à la répression, aux purges, dans l’environnement extrêmement hostile qu’est celui du Sahara. Il est progressivement monté en grade et aujourd’hui, il apparaît au fond – et c’est malheureusement la carte qu’il est en train de jouer – comme le plus "Al-Qaida" de tout le réseau.
Propos recueillis par Isabelle Mandraud