Affaire Merah : ce que disent les documents déclassifiés
Dans les rapports de la DCRI transmis par le ministère de l’Intérieur à la justice, il apparaît que la police avait mesuré la « menace », que représentait le futur tueur à scooter.
De quoi écarter définitivement la thèse du « loup solitaire », pourtant soutenue par l’ancien patron de la DCRI, Bernard Squarcini, au moment des faits, et soulever des interrogations sur les raisons qui ont poussé les services de renseignements à ne pas surveiller de plus près celui qui apparaissait alors comme un jihadiste patenté susceptible de « conduire des actions armées ».
RAPPORT DE DÉCEMBRE 2009 : des « cours religieux » à domicile. C’est dans cette note de « suivi de la mouvance salafiste radicale toulousaine » que le nom de Mohamed Merah apparaît pour la première fois. Le document dévoile des informations sur Abdelkader Merah, frère de Mohamed, connu à l’époque comme un proche du « groupe de Toulouse », des salafistes arrêtés en 2007 et condamnés en 2009 pour avoir développé une filière de candidats au jihad.
La DCRI note qu’Abdelkader s’est installé au Caire en Egypte depuis novembre 2009 pour y suivre un enseignement religieux « axé sur le jihad ». Mohamed Merah, qui est sorti de prison trois mois plus tôt pour une série de délits, apparaît de son côté comme « entretenant des contacts téléphoniques réguliers avec son frère Abdelkader au Caire ». Il participe également à des « cours religieux du soir dispensés à son domicile ».
NOVEMBRE 2010 : une « nouvelle génération » d’islamistes. Plus précise, une autre note décrit cette fois le futur tueur à scooter comme « membre d’une fratrie d’islamo-délinquants ». Les policiers révèlent qu’il suit aussi des cours de langue arabe. La DCRI souligne par ailleurs l’arrivée d’une « nouvelle génération » d’islamistes toulousains, à laquelle Mohamed est associé. Ces jeunes recrues sont influencées par les anciens du groupe de Toulouse « arrivés en fin de peine avec des convictions intactes et une détermination renforcée », souligne le rapport.
JANVIER 2011 : un individu en « phase de radicalisation » La DCRI rédige cette fois un compte rendu détaillé de l’arrestation de Mohamed à Kandahar, en Afghanistan, par la police locale quatre mois plus tôt. Devant les services du contre-terrorisme afghans, il s’exprime « en français », déclare « être de confession musulmane » et exercer la profession de carrossier « dans le sud de Paris ». ll dit être passé par l’Allemagne, la Turquie, la Syrie, le Liban, Israël, l’Egypte, le Tadjikistan. Son voyage avait pour but de « visiter les ruines des statues de bouddhas détruites par les talibans », explique-t-il alors, avant d’être laissé libre par les autorités afghanes.
Ce voyage dans une ville considérée comme un bastion de jihadistes « doit nous interpeller », écrit la DCRI, qui se donne pour mission « d’approfondir l’environnement » amical et familial de Mohamed Merah, « un individu au lourd passé délinquant en phase de radicalisation ».
SEPTEMBRE 2011 : une « cible privilégiée » des services. Ce rapport ne fait plus mystère du profil d’islamiste radical de Mohamed Merah. Il y est décrit comme « un contact privilégié du leader historique de la mouvance salafiste toulousaine ». Sans le nommer, les policiers évoquent sans doute ici Sabri Essid, un intime des frères Merah. Le rapport revient également sur son arrestation en Afghanistan en novembre 2010, et relève qu’à son retour, « il réintègre le noyau salafiste local » et « poursuit ses activités délinquantes ».
Les policiers ajoutent que les « derniers renseignements recueillis laissent penser d’un nouveau départ en octobre de Merah vers le Pakistan ». Un projet qui fait de lui une « cible privilégiée du service ». Pourtant, rien ne sera fait pour empêcher son départ.
DÉCEMBRE 2011 : la menace « d’actions armées ». Un mois après son retour du Pakistan, en novembre 2011, Mohamed Merah est entendu par l’antenne locale de la DCRI à Toulouse. Si le compte rendu de l’entretien ne fait étonnamment pas partie des documents déclassifiés, un rapport rédigé le mois suivant relate néanmoins l’interrogatoire.
Lors de celui-ci, Merah « confirmait s’être rendu en Afghanistan et au Pakistan », soulignent les policiers, qui ne font même pas état du prétexte touristique avancé par Merah pour justifier son voyage. Sur les raisons de son retour, « il déclarait être revenu en France pour régler des problèmes avec la justice française ». Ces déplacements constituent une « menace directe », souligne le rapport, « car les jeunes djihadistes peuvent revenir avec pour instruction de conduire des actions armées ». Glaçante prémonition.