Le matin est interminable. Comme tous les dimanches, Larache a du mal à émerger. Les vagues de l’Atlantique s’écrasent contre les rochers du balcon atlantico. Les terrasses de café sont encore vides. Et dans la médina, à Souk Sghir, les échoppes sont toujours fermées alors que les vendeurs ambulants –les fameux ferrachas- n’ont pas encore investi l’espace public.
La médina se réveille doucement. Les Larachois prennent leur temps, tout leur temps. Dans le dédale des ruelles, l’histoire d’une ville guerrière défile au détour de murs peints à la chaux blanche et des volets au bleu de l’océan. Larache revendique son histoire. La forteresse des Saadiines –toujours dans l’attente de travaux de réhabilitation- est à quelques encablures. Le café Jean Genêt –l’écrivain est enterré à Larache- est tout à côté. Les noms des rues sont écrits en arabe et en espagnol. De « derb » en « calle », la médina raconte une histoire. Son histoire. La « calle » Ibn Sina est à un jet de pierres de la « calle » Sidi Mohamed Chrif.
Un vivre-ensemble entre juifs et musulmans jalousement conservé
Dans cette ruelle haut perchée, le vivre-ensemble entre juifs et musulmans est jalousement conservé à l’intérieur d’un minuscule sanctuaire. La petite bâtisse est fermée à clé. Ici, les habitants ont pris l’habitude de voir musulmans et juifs y élever des prières. Les femmes musulmanes viennent y allumer une bougie. Et les juifs d’origine espagnole ou larachoise y ont longtemps célébré la Hiloula. Aujourd’hui, ils viennent toujours en pèlerinage pour allumer des cierges pour les jeunes filles en quête de mariage ou celles qui veulent connaître les joies de la maternité. Il n’y a pas de tombes. Une petite marche pour allumer des bougies et des inscriptions en arabe et en hébreu sur les quatre murs.
« C’est le seul sanctuaire au Maroc, peut-être même dans le monde, que se partagent musulmans et juifs. Ceci est dû à l’histoire de Larache où les deux communautés n’ont pas cohabité mais vécu ensemble. Il y a un vrai brassage ici. Il ne faut pas oublier que Larache a été le premier port du Maroc. On peut dire que dans cette ville, juifs et musulmans ont eu un destin commun », explique l’ancien conservateur de la bibliothèque de Larache, l’écrivain Abdesslam Serroukh avant de faire remarquer que mosquées, synagogues et églises peuplent la médina incarnant un œcuménisme religieux.
Inattendue, surprenante, originale, l’histoire de ce marabout n’a pourtant jamais été écrite. Elle se raconte par bribes de témoignages oraux recueillis notamment grâce à la curiosité et la ténacité d’Abdeslam Serroukh, l’enfant de la ville.
« Dans ce sanctuaire, les musulmans invoquent Sidi Mohamed Chrif dont la rue qui abrite le marabout porte le nom. Quant aux juifs, ils élèvent des prières à la gloire du Rabbin Gbibate. La légende dit que Sidi Mohamed Chrif Rissouni protégeait les Juifs de la ville et qu’il continue de le faire jusqu’après sa mort. Une autre histoire raconte que ces quelques mètres carrés où est érigé le marabout des juifs et des musulmans sont frappés du sceau du sacré », nous apprend A. Serroukh. Né dans la médina, non loin du carré sacré, il se souvient de sa mère comme tous les voisins s’associant aux préparatifs de la fête juive, Hiloula .