Sept années d’une impitoyable guerre civile, d’affrontements meurtriers, de destructions aveugles et de déplacement massif de populations qui se comptent par millions pour qu’en fin de parcours, ce régime de Bachar El Assad tant honni, pour la destruction duquel des stratégies les plus machiavéliques ont été élaborées, est en passe de retrouver une quasi normalité. « Le turning point » comme on dirait outre-Manche fut lorsque le président américain Donald Trump annoncé la décision de son pays de retirer les troupes américaines de Syrie, estimant que ses forces avaient vaincu l’organisation terroriste Daesh et que les derniers poches de résistance doivent être nettoyées par les pays de la région comme la Turquie.
Cette décision américaine avait choqué les Français en particulier et les européens en général par sa brutalité et le manque de pertinence du postulat sur lequel son argumentaire était basé. Pour Emmanuel Macron comme pour ses deux ministres de la Défense et des Affaires étrangères, Florence Parly et Jean Yves le Drian, la guerre contre Daesh est loin d’être terminée. Car non seulement cette organisation terroriste risque de renaître de ses cendres mais que cette grave décision américaine aura pour conséquence immédiate de mettre les kurdes, dont le rôle crucial dans la victoire contre Daesh était incontestable, à la merci des autorités turques. Il est de notoriété publique que le régime de Tayeb Erdogan considère la sensibilité séparatiste kurde plus dangereuse pour sa sécurité que les menaces de Daesh.
C’est dans ce contexte de retrait américain de la Syrie que le régime de Bachar El Assad semble reprendre son souffle et consolider ses victoires militaires pour de nouvelle conquêtes et reconnaissances diplomatiques. Sa renaissance ne date pas d’aujourd’hui. Elle date du jour où les choix de l’administration de Barack Obama, largement confortés par ceux de Donald Trump de ne pas faire chuter par la guerre le régime de Bachar El Assad, ont dicté leurs doctrines militaires. Les nouveaux leaders européens, comme Emmanuel Macron, n’avaient d’autres choix que de suivre cette ligne de conduite, leurs opinions étant lourdement travaillées par la menace terroriste. Dans certains de ses commentaires sur la situation, Emmanuel Macron avait résumé l’approche française en affirmant que Bachar El Assad était l’ennemi de son peuple et non celui de la France.
Parallèlement à ces victoires militaires, le fruit d’une indéfectible alliance avec les Russes et les Iraniens, Bachar El Assad avait gagné aussi la bataille des négociations politiques avec l’opposion imposée par la communauté internationale, notamment l’ONU et certains pays européens. De tous les processus de négociation (celui de Genève ou du Small groupe) lancés pour le contraindre à signer un accord avec les oppositions, Bachar El Assad a réussi à s’en extirper sans dommages ni contraintes. Le seul processus paraissant politiquement viable pour le moment semble le processus dit d’Astana, le fruit à cent pour cent de la diplomatie russe et qui non seulement ne demande à aucun moment le départ de Bachar El Assad mais n’offre à l’opposition que peu de prises sur le régime pour l’affaiblir ou le changer.
Dans ce contexte, de nombreux pays arabes s’apprêtent à réouvrir leurs ambassades à Damas et à réanimer leurs échanges politiques, économiques et sécuritaires avec Bachar El Assad. Selon de nombreux signaux, la Syrie s’apprête à reprendre son fauteuil au sein de la Ligue arabe. Si la logique affichée par certains pays arabes pour justifier cette normalisation consiste à affirmer qu’il faut travailler pour que la Syrie retrouve son giron naturel arabe pour tenter de la rendre moins dépendante des Iraniens, de nombreux points d’interrogations se posent sur l’approche des pays européens. Imagine-t-on un instant Paris, Londres ou Berlin décréter le retour en grâce sans conditions de Bachar El Assad après le sanglant et long calvaire qu’il a fait subir à son peuple et à la région ?
Dans sa terrible partie d’échecs dont il a tiré sa survie, Bachar El Assad peut potentiellement prétendre recevoir les grands de ce monde et se pavaner dans une totale impunité dans les différentes régions du monde. Il a militairement écrasé son opposition et idéologiquement imposé à la communauté internationale une équation à un seul inconnu : son régime ou Daesh.