Ansar Beit al-Maqdis, l’organisation djihadiste qui ébranle l’Égypte
Ce groupe, sans doute lié à l’État islamique en Irak et au Levant, est derrière la récente vague d’attentats.
Créé il y a environ trois ans, Ansar Beit al-Maqdis (les Partisans de Jérusalem) a – comme son nom l’indique – longtemps associé sa lutte à celle des combattants palestiniens, en visant des cibles israéliennes, de l’autre côté de la frontière qui longe le Nord Sinaï. Mais depuis l’éviction de l’ex-président islamiste Mohammed Morsi par l’armée, le 3 juillet dernier, on assiste à une recrudescence des attaques ciblant quasi quotidiennement la police et les forces armées égyptiennes qui opèrent dans la péninsule.
Un groupe opposé à Morsi
Le 24 décembre, un nouveau cap est franchi avec cet attentat à la voiture piégée contre le siège de la police de Mansoura, au nord du Caire, qui a causé la mort de 14 personnes et blessé une centaine d’autres. Un mois plus tard, une série d’explosions ébranle cette fois-ci la capitale, tandis que, quelques jours après, le groupe djihadiste se vante, vidéo à l’appui, d’avoir abattu par missile un hélicoptère de l’armée près de la localité de Cheikh Zouaid. Encore plus récemment, Ansar Beit al-Maqdis – qui est aussi derrière un attentat raté contre le ministre de l’Intérieur – a revendiqué l’assassinat d’un des proches conseillers de ce dernier, en charge du bureau technique. « La vengeance va venir », ont prévenu dans un communiqué ses auteurs, qui menacent aujourd’hui de s’attaquer au maréchal al-Sissi, l’homme fort du pays, pressenti à la présidence.
Lorsqu’elles évoquent cette spirale de violence – inédite depuis les attentats des années 1990 -, les autorités intérimaires s’empressent d’accuser les Frères musulmans, désormais considérés comme une organisation terroriste. En réalité, Ansar Beit al-Maqdis se distingue clairement de la Confrérie, et pourrait, a contrario, profiter de son échec. Si de l’avis général, Morsi a favorisé son ascension, en libérant de prison plusieurs ex-djihadistes, le groupuscule s’est toujours opposé au président frériste, élu au suffrage universel, en arguant que seule la violence, et non les urnes, sert les intérêts de « l’oumma », la communauté musulmane. D’une certaine façon, observe David Barnett, « la destitution de Morsi par l’armée sert aujourd’hui son discours selon lequel le jeu démocratique ne sert à rien ». Aujourd’hui, Ansar Beit al-Maqdis utilise d’ailleurs cet argument pour séduire les âmes désenchantées. « Mes frères, nos droits ont été volés par la violence et les armes… Nous devons prendre conscience que la voie pacifique n’est pas la solution », annonce son leader, Oussama al-Masri, dans un enregistrement audio publié sur YouTube, la veille des attaques du 24 janvier.
L’organisation, qui compte à ce jour quelques centaines de combattants, pourrait également se servir de l’argument des dommages collatéraux occasionnés par les raids militaires dans la région du Nord Sinaï, notamment dans les villes d’al-Arich et de Cheikh Zouaid, pour attirer de nouvelles recrues. « Des civils ont été tués. Des maisons ont été détruites. Du coup, les habitants sont perdus. Ils se demandent si l’armée peut, comme promis, leur garantir un retour de la sécurité. Ça ne m’étonnerait pas que certains songent à la vengeance armée », observe, depuis al-Arich, l’avocat Islam Farouz, spécialisé dans les droits de l’homme.
Vidéoclips, émissions télévisées et posters à l’appui, l’armée égyptienne, elle, affiche une assurance à toute épreuve en promettant d’« éradiquer le terrorisme ». Loin des projecteurs, certains militaires reconnaissent pourtant la difficulté de leur tâche dans cette péninsule au relief montagneux et escarpé. « La géographie n’est pas à notre avantage. En plus, nous faisons face à des combattants qui travaillent de manière très secrète et qui sont très organisés », concède un haut gradé militaire, qui préfère garder l’anonymat. Sans compter, ajoute-t-il, « le trafic d’armes en provenance de Libye, qu’on ne peut pas contrôler à 100 % ».
Mais c’est la connexion syrienne qui risque, à l’avenir, de présenter un réel danger. D’après une récente étude de l’International Center for the Study of Radicalisation, au moins 119 combattants égyptiens sont partis faire le djihad en Syrie depuis l’insurrection contre le régime de Damas, il y a presque trois ans. Certains sont récemment rentrés au pays. C’est le cas de Walid Badr, le kamikaze mort dans l’attentat raté contre le ministre de l’Intérieur, en septembre. « Dieu l’avait destiné à revenir en Égypte pour mourir en martyr », énonce une vidéo du groupe en hommage à ce combattant, également passé par l’Irak et l’Afghanistan. D’après Ismail Alexanderni, spécialiste du Sinaï, « cette corrélation frappante entre le retour de certains combattants du front syrien et leur professionnalisation va également de pair avec une allégeance affichée envers l’EIIL ». L’État islamique en Irak et au Levant, la fraction la plus radicale des combattants anti-Assad, qui de l’Irak à la Syrie, en passant par le Liban ambitionne d’élargir sa toile à la région, est en effet régulièrement mentionné dans les déclarations d’Ansar Beit al-Maqdis. Dernier exemple en date, cette fameuse bande sonore du 23 janvier où, en guise de conclusion, Oussama al-Masri déclare sans détour : « Qu’Allah nous donne la patience nécessaire pour combattre, et particulièrement nos frères en Syrie, spécialement ceux de l’État islamique en Irak et au Levant. »