Burkini, le « faux pas » de Manuel Valls
Il y a un homme politique en cette période qui doit se sentir mal à l’aise ou qui doit jubiler d’excitation. C’est selon l’angle de vision qu’on saisit pour analyser sa séquence. C’est le premier ministre Manuel Valls. La suspension par le Conseil d’Etat de l’arrêté contre le burkini a été ressentie par les commentateurs comme un désaveu pour lui. Il a été un des rares à gauche à applaudir ces arrêtés et à soutenir les maires qui les ont pris.
Par Mustapha Tossa
La solitude de Manuel Valls est flagrante à l’heure où la gauche se cherche un leadership pour porter ses couleurs pendant les prochaines présidentielles. La candidature de François Hollande n’étant ni naturelle ni évidente, la gauche est toujours à la recherche de son astre fédérateur. Dans certains milieux, la candidature du premier ministre aux primaires de la gauche, dans le cas où François Hollande renoncerait, paraît une sérieuse hypothèse de travail. Sauf que la polémique sur le burkini vient de brouiller davantage l’image de rassembleur de la gauche qui lui est indispensable pour le distinguer des autres profils aussi clivants que ceux d’Emmanuel Macron, Arnaud Montebourg ou Benoit Hamon.
Déjà victime d’une réputation d’autoritaire, sanguin, impétueux qui lui colle la peau depuis le renoncement en rase campagne sur le d’échéance de la nationalité et le recours au fameux 49/3 qui lui garantie un passage en force de sa dernière loi sur le travail, Manuel Valls vient avec cette crispation nationale sur le burkini, renforcer son image droitière qui agace profondément ses détracteurs. Pendant sa fulgurante ascension, Manuel Valls a baptisé aussi bien par ses amis que se adversaires de "Sarkozy de gauche".
Les premiers voulaient signifier la fermeté et la détermination de l’homme à ne pas laisser la préoccupation sécuritaire comme un apanage exclusif de la droite. Les seconds voulaient dénoncer sournoisement ce qui est perçu comme les renoncements idéologiques et les reculs sur les valeurs de gauche que certaines personnalités sont prêtes à accomplir pour arriver où conserver le pouvoir.
Isolé à gauche, Manuel Valls aura de plus en plus de mal à séduire et à incarner ce Leader fédérateur dont la gauche a besoin pour battre une droite sur le retour et une extrême droite assurée de réaliser une grande performance lors des prochains scrutins. Le burkini aura eu ce dommage collatéral d’avoir poussé Manuel Valls à commettre ce faux pas qui l’éloigne davantage de la gauche classique.
D’un autre côté, il est difficile d’imaginer que ce que fait Manuel Valls pour sculpter son portrait et ses postures est simplement le fruit du hasard ou de la réaction spontanée, voire non réfléchie, sous la pression des événements. L’homme semble décidé à creuser son propre sillon, sans doute convaincu que cette gauche traditionnelle, incarnée par Martine Aubry ou Arnaud Montebourg est en train de se réduire comme peau de chagrin, avant de disparaître littéralement du paysage politique français. Manuel Valls, convaincu que le discours de gauche classique, "droit de l’hommiste", interventionniste jusqu’à l’assistanat, est en train de baisser pavillon. Il s’activerait donc à créer une autre offre politique qui permettait à une certains forme de gauche de continuer à exister et à éventuellement séduire.
Sur le plan économique, les plans de Manuel Valls ont été quelque peu contrarié par l’irruption d’un homme comme Emmanuel Macron qui propose les mêmes offres et les mêmes ruptures. Sur le plan sécuritaire et sociétal, il reste unique dans son genre à proposer une thérapie ferme et énergique qualifiée de droite allant parfois jusqu’à provoquer un choc thermique au sein de sa propre famille politique.
Manuel Valls donne cette impression de jouer le coup d’après. Ce qui laisse transparaître cette fatalité de passer la prochaine présidentielle par pertes et fracas. Toute sa démarche serait celle de l’homme qui prend date avec l’après inévitable défaite.