Devant ces manifestions qui ont brisé le mur de la peur et libéré une parole longtemps étouffée par les angoisses du lendemain, le clan qui a mis en orbite le cinquième mandat, source de toutes les colères, ne semble pas fléchir et ni disposé à reculer. Bien au contraire, les frustrations exprimées par les algériens dans les rues ont été pour eux l’occasion d’entamer une surenchère qui participe à cliver les lignes de ruptures. Leur pari est que ces bouffées de chaleur, si populaires, si engageantes soient-elles, vont fatalement retomber une fois la réalité du cinquième mandat inscrite dans le marbre électoral et devenue une irréversible situation.
Jusqu’à présent , les manifestations ont gardé une apparente tournure pacifique. Ni les forces de l’ordre n’ont abusé de leurs pouvoirs ni les manifestants n’ont dépassé les clous traditionnels de la contestation. Mais cette apparence peut être trompeuse. La guerre civile syrienne a commencé par une manifestation bon enfant avant de dégénérer dans une confrontation armée d’une violence inouïe. Les algériens marchent donc sur le fil du rasoir, exposés à toutes formes de provocations, de manipulations et d’instrumentalisation.
Contraints dans leurs silences à l’égard de l’Algérie à cause de la haute radioactivité de la situation dans ce pays et son extrême sensibilité à l’égard de tout commentaire venant de l’étranger, les pays voisins de l’Algérie sont dans une situation d’attente teintée d’angoisse et d’inquiétude. Si la dispute sur le pouvoir à Alger prend une tournure violente, ces pays voisins doivent s’attendre et apprendre à gérer une grande secousse politique et sécuritaire.
La France, pays avec lequel l’Algérie n’a pas encore soldé son passé colonial et avec lequel les Algériens entretiennent une abrasive relation d’amour-haine, a observé pendant de longues journées une silence mutique à l’égard des évolutions algériennes. Ce silence a été rompu par deux faits majeurs qui renseignent sur deux approches différentes. Le premier est la déclaration du porte parole du gouvernement français Benjamin Griveaux qui souhaite que cette élection présidentielle du 18 avril réponde aux aspirations profondes de la population algérienne. Dans l’unique sortie de ce responsable français, il n’y a pas eu l’once d’un doute sur la viabilité et la pertinence politique de ce cinquième mandat ni la moindre allusion à l’effervescence de la rue algérienne qui le conteste avec passion et détermination.
Le second fait sorti de Paris et qui a participé à alimenter le débat et la polémique médiatique sur le cinquième mandat est la décision opportune par les services français de déclassifier des documents confidentiels qui dressent un portrait peu flatteur du président Abdelaziz Bouteflika en mettant en lumière sa moralité douteuse, son ADN corrompu, son appétit pour les coups bas, les trahisons et les intrigues. C’est le journal, jadis de gauche, L’Obs qui s’est chargé de cette opération. Le même journal qui s’est distingué dès le début des manifestations algériennes de relayer les confidences d’un proche de l’Élysée qui affirme que le véritable cauchemar d’Emmanuel Macron n’est autre que l’Algérie et sa possible déflagration.
A quelques courtes semaines de cette élection présidentielle algérienne, si Abdelaziz Bouteflika, motivé par son désir de mourir sur son fauteuil présidentiel, persiste et signe dans son envie d’un cinquième mandat, lui et son clan devront composer avec trois données incontournables. Gérer les manifestations dont les revendications montent crescendo et risquent de perdre leur ampleur pacifique. Gérer la décisive journée du 18 Avril avec un flagrant antagonisme entre un prévisible boycott historique de ce scrutin et un bourrage des urnes industriel. Et gérer après une population qui a bruyamment dit son refus du système Bouteflika et de son cinquième mandat.