Deuxième interprétation : l’échec de ces personnalités s’explique par leur inexpérience politique et non par leur origine. Deux d’entre elles étaient dans la mouvance associative tandis que la troisième était fonctionnaire au Sénat, et aucune d’entre elles n’avait eu de réelle expérience d’élue locale régionale ou nationale. Le résultat est qu’elles ont toutes entretenu des rapports détestables avec leurs administrations respectives ou leurs ministres de tutelle quand elles en avaient, entraînant notamment dans leurs cabinets des démissions en chaîne inconnues jusque-là. Très vite, elles ont été marginalisées. Rachida Dati a été la première garde des Sceaux de la Ve République à ne pas porter une réforme constitutionnelle devant le Parlement. Fadela Amara a été neutralisée par Matignon qui ne voulait pas d’un nouveau plan banlieues. Rama Yade a été dépossédée de tous les dossiers significatifs dans les deux postes qu’elle a occupés.
Face à l’étau politique qui se resserrait, il est frappant de voir que toutes ont adopté la même stratégie : la surexposition médiatique au détriment du travail politique. Rachida Dati et Rama Yade ont exprimé jusqu’à la caricature la volonté de personnalités de se surexposer dans les médias pour se protéger contre les assauts d’une classe politique qui, après une sympathie initiale, les a rejetées parce qu’elles apparaissaient psychologiquement suffisantes et professionnellement insuffisantes. La palme revenant à Fadela Amara indiquant qu’elle ne voterait pas pour Nicolas Sarkozy en 2012 – même si c’est François Fillon qui était le plus désireux de s’en débarrasser !
Pourquoi toutes ont choisi la voie de la surexposition médiatique au lieu de profiter de leurs fonctions pour se construire une véritable base politique ? Sûrement parce qu’elles voyaient dans les médias la seule arme dont elles disposaient pour exister. Certes, Rachida Dati était élue du VIIe arrondissement. Mais il n’échappera à personne que ce n’est pas dans cet arrondissement le plus à droite de France et sociologiquement le plus éloigné des banlieues qu’elle allait trouver une assise politique. Rama Yade a choisi, elle, une implantation en adéquation avec la ville où elle avait vécu. Mais sa présence au gouvernement n’a eu aucun impact politique puisque tant au moment des municipales que des régionales les listes UMP sur lesquelles elle figurait ont été battues. Autrement dit, les ministres de la diversité n’ont pas fait la preuve de leur capacité à drainer les bataillons de cette diversité vers l’UMP. Or c’est ce que l’on attendait d’elles. Leur échec réside dans leur incapacité à se doter d’une légitimité politique propre.
Se pose alors un dernier problème : pourquoi ces personnalités si à l’aise dans les médias l’ont été beaucoup moins sur le terrain strictement politique ? A cette question importante il n’y a pas de réponse claire, même si l’on connaît de nombreux précédents, à l’image de Bernard Kouchner, qui a toujours été plus populaire dans l’opinion que dans l’isoloir. Propulsées au premier rang, les ministres de la diversité ont probablement cherché à exister individuellement soit parce qu’elles étaient enivrées par leur célébrité soudaine, soit parce qu’elles étaient d’une certaine manière conscientes de la fragilité de leur situation, fragilité qu’elles ont cherché à compenser par une surexposition médiatique.
Quoi qu’il en soit, l’impossibilité de ces personnalités à s’implanter politiquement pose un problème politique dans un pays où aucun élu de la diversité n’est à ce jour parvenu à se faire élire autrement que sur un scrutin de liste. C’est là une conclusion bien inquiétante qui n’est compensée que par une autre leçon, elle, en revanche plus rassurante : malgré tout ce qui se dit sur les médias, l’épaisseur de leur bouclier ne résiste guère au glaive de la politique. Rama Yade : beaucoup de talk-shows mais combien d’électeurs ?
Paru dans Libération du 30/11/2010
Dernier ouvrage paru : «le Monde selon Obama», Stock, 2010