Procès Bettencourt : l’énorme erreur de la juge (NouvelObs)
En omettant de fixer une nouvelle date d’audience, après avoir décidé du renvoi du procès de François-Marie Banier, la juge Isabelle Prévost-Desprez a donné l’opportunité au parquet de la dessaisir du dossier.
Compte tenu de l’animosité notoire qui règne entre le procureur de Nanterre Philippe Courroye et Isabelle Prévost-Desprez, il fallait s’attendre à ce que le parquet saisisse la première opportunité qui s’offrirait à lui pour soustraire ce dossier ultra explosif des mains de la juge.
C’est donc ce qu’il a fait en faisant appel de la décision d’Isabelle Prévost-Desprez de renvoyer le procès. Il s’est appuyé, pour ce faire, sur une jurisprudence de la Cour de Cassation du 20 juillet 1993, selon laquelle lorsque le tribunal renvoie un dossier sans fixer de date, l’appel du parquet est immédiatement recevable, sans qu’il soit nécessaire de passer par le président de la chambre des appels correctionnels
Un "coup de maître"
Première conséquence, la juge, qui s’était commise pour effectuer le supplément d’information, se retrouve dessaisie du dossier, qui passe entre les mains de la cour d’appel de Versailles. Isabelle Prévost-Desprez ne peut donc pas, au moins provisoirement, mener d’acte d’instruction.
Et pour être bien certain que tout soit verrouillé, le parquet s’est quand même tourné vers le président de la chambre des appels correctionnels : "cette requête a un effet suspensif immédiat", souligne Maître Eolas. Mais, surtout, "d’ici un mois, le président de la chambre des appels correctionnels constatera que cette requête est inutile puisque l’appel est recevable de plein droit, ce qui interdira définitivement à la présidente de procéder, et permettra au parquet de se réfugier derrière une décision du siège pour justifier de ce dessaisissement." Et l’avocat de conclure : "Un coup de maître, si je puis me permettre."
Deuxième conséquence : soit la cour d’appel de Versailles infirme le jugement et du coup, juge elle-même l’affaire, soit elle le confirme et le rend à la 15e chambre du tribunal de Nanterre. Difficile de croire que la cour d’appel de Versailles, où le procureur général partage, selon Le Monde du 6 juillet, les vues de Philippe Courroye, optera pour la seconde solution… Isabelle Prévost-Desprez risque donc de voir l’affaire Bettencourt lui passer sous le nez, par cette monumentale erreur.
La mauvaise-bonne volonté du parquet
D’autant que la décision des juges de Versailles n’est pas attendue avant fin 2010-début 2011. Cela laisserait le temps, souligne encore Le Monde, au ministère public de démonter l’argument utilisé par la présidente de la 15e chambre, lors de l’audience de renvoi du procès, pour rejeter la demande de la procureur Marie-Christine Daubigney de surseoir à statuer en attendant les résultats de l’enquête ouverte par le parquet sur les enregistrements pirates, et se commettre elle-même pour mener à bien cette enquête.
Isabelle Prévost-Desprez avait notamment fait valoir que le parquet pourrait "choisir, en toute hypothèse, de ne pas verser ces pièces" au tribunal.
En versant l’enquête, le parquet donnerait à la cour d’appel de Versailles une bonne raison de ne pas permettre à la juge de Nanterre de conduire son supplément d’information, qui pourrait alors être jugé inutile. Si ce scénario était suivi, le parquet parviendrait donc à ses fins : se débarrasser de cette juge honnie, et du coup avoir la main-mise sur un procès où certaines choses doivent peut-être rester cachées.
Dans ce contexte, comment interpréter le fait que le procureur Philippe Courroye ait fait savoir qu’il souhaitait enquêter, sur la base des révélations contenues dans les enregistrements, sur le couple Woerth ? Est-ce, dans un sursaut de fierté, pour se montrer indépendant du pouvoir politique et faire ainsi mentir sa rivale Isabelle Prévost-Desprez ? Ou est-ce plutôt pour se saisir, là aussi, d’une partie sulfureuse de l’affaire que le pouvoir, justement, ne voudrait surtout pas voir tomber entre les mains de la présidente de la 15e chambre ?
Sa décision est en tout cas curieuse, quand on se souvient que non seulement c’était lui qui avait voulu classer sans suite l’affaire Bettencourt en septembre 2009, mais aussi qu’il avait confié à Libération, le 18 juin dernier, que si "les enregistrements, et le contexte dans lequel ils ont été réalisés, posent un problème de principe", en revanche, "la question de ce qu’ils contiennent n’est pas posée."