L’économie algérienne est-elle viable à long terme ?
L’Algéries emble aujourd’hui avoir réussi sa stabilisation macroéconomique, depuis 1995 et après des années d’instabilité et de recours aux institutions de Bretton Woods (FMI et Banque Mondiale). Cette transition a pris plusieurs années mais n’est pas complètement terminée.
La structure étatique prépondérante et la rigidité des classes dirigeantes expliqueraient donc les multiples travers de l’économie algérienne. La persistance de la corruption est le symptôme de l’impossibilité d’une réforme de fond et d’un renouvellement des élites. En effet, l’Etat continue d’avoir un poids démesuré en Algérie, ce qui explique le climat extrêmement tendu actuellement – dans le contexte de la succession du Président Abdelaziz Bouteflika – ainsi que les affaires peu claires qui entourent bon nombre de membres du gouvernement. Toutefois, au-delà des nombreux problèmes politiques à résoudre, la crise économique mondiale pourrait avoir de fortes répercussions sur l’Algérie, qui pourraient aller jusqu’à compromettre la paix sociale et la stabilité si durement acquises.
L’économie algérienne est pourtant relativement forte en comparaison à d’autres pays africains. L’Algérie est le troisième producteur de pétrole en Afrique (derrière le Nigéria et la Lybie) et le premier exportateur de gaz. Le pays possède également de grandes réserves de minerai de fer (1,7 milliards de tonnes exploitables). C’est une économie dans laquelle prédomine le secteur secondaire (l’industrie explique 60% du PIB), avec un secteur tertiaire déjà important (les services représentent 30% du PIB), les 10% restant correspondent au secteur agricole.
Le problème central de l’économie algérienne, c’est que c’est une économie mono-exportatrice. En effet, les hydrocarbures représentent 98% des exportations du pays, qui souffre ainsi du fameux « mal néerlandais ». Ce syndrome identifié par les économistes fait référence au processus suivant : une trop forte capacité d’exportation d’hydrocarbures provoque une appréciation de la monnaie du pays, ce qui entrave la compétitivité des autres industries du pays, et empêche donc un développement balancé de celui-ci.
Poussé à l’extrême, cela donne une économie qui ne vit que grâce à l’exportation d’hydrocarbures, ce qu’est précisément l’Algérie. De plus, le bien fondé de l’utilisation de ces ressources est souvent remis en cause. Certains n’hésitent pas à affirmer qu’elles ont été détournées par les autorités, car elles ne profitent qu’aux plus nantis. Comme l’affirme le Président délégué du CIAN (Conseil Français des Investisseurs en Afrique) : « Le détournement de la richesse pétrolière en Algérie n’est pas un fait nouveau. (…) C’est une catastrophe, il faut le dire. ». Au-delà des problèmes de corruption et de bureaucratie, il convient de rappeler l’importance de l’économie souterraine et de la contrefaçon, comme l’affirme le professeur Mebtoul : « la sphère informelle draine plus de 40% de la masse monétaire en circulation ».
Le modèle algérien semblait pourtant stable. Puis vint la crise. Au début, d’aucuns prétendaient que l’Algérie n’allait pas être touchée par la crise, son système financier étant peu connecté avec les grandes places financières mondiales, qui n’auraient donc pas pu entrainer l’Algérie dans leur chute. Toutefois, et cela semble évident aujourd’hui, la récession mondiale de 2009 a entrainé une chute brutale des cours du pétrole, passant de 146 dollars le baril à l’été 2008 à moins de 35 dollars le baril fin 2008. Les exportations algériennes ont donc subi le revers de plein fouet, subissant une chute presque aussi considérable.
Or, la réaction du gouvernement n’est pas véritablement à la hauteur des événements : étant donné l’envolée des importations algériennes (+10% au premier trimestre 2009), l’effondrement des exportations (-40% au premier trimestre 2009), ainsi que la faiblesse de réaction du gouvernement en termes de réduction de dépenses publiques, il y a fort à croire aujourd’hui que l’économie algérienne n’est pas viable. Bien qu’elle aie autour de 150 milliards de dollars de réserve et une dette inférieure à 5 milliards de dollars, le gouvernement actuel continue de parier sur une augmentation des cours de l’or noir, au-delà de 100 dollars le baril, afin de s’en sortir. En effet, le gouvernement a prévu près de 150 milliards de dollars de dépense sur la période 2009-2014, ce qui ne tient pas réellement compte de la précarité et de l’instabilité des recettes de la rente pétrolière.
La remontée des cours du pétrole à 80 dollars le baril laisse un sursis au gouvernement algérien. Il tend à se considérer à l’abri, mais sans se rendre compte de l’impact structurel qu’a eu cet événement pour le moins conjoncturel. L’Algérie a de nombreux défis à relever, et pas seulement sur le plan économique. En effet, au-delà des nécessaires réformes visant à réguler l’économie et assurer la présence juridique de l’Etat dans tous les domaines d’activité, au-delà de la nécessité de renouveler les élites du pays et d’arrêter les circuits de l’économie souterraine, l’Algérie a besoin de saisir sa chance sur le plan international. A l’heure de la reconfiguration des équilibres géopolitiques dans l’après-crise, où les pays du « Sud » commencent à faire entendre leur voix, ne pas chercher à se réformer pour se faire entendre au niveau international serait une lourde erreur. Avec cette reconfiguration et de nouvelles perspectives (à travers l’Union pour la Méditerranée naissante, par exemple), l’Algérie a de grandes opportunités devant elle, et dans l’état actuel des choses, elle est en train de les perdre.