Selon cette étud de l’Institut Thomas Moore, ces élections anticipées du 25 novembre s’inscrivent avant tout dans la dynamique de réformes engagées par le pouvoir marocain en réponse au cycle de révoltes et révolutions qui a touché l’Afrique du Nord dans la foulée de la chute de Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie. Un mois après l’adoption par référendum d’une révision constitutionnelle, le roi Mohammed VI, appelait en effet le 30 juillet à l’élection rapide d’un nouveau Parlement pour qu’un futur premier ministre soit nommé. « Il importe de commencer par l’élection de la nouvelle chambre des représentants » pour qu’un chef du gouvernement puisse être nommé du parti en tête des élections, déclarait notamment le souverain, ajoutant que tout « atermoiement » risquait de remettre en cause la dynamique initiée par la réforme constitutionnelle.
Si la réforme constitutionnelle initiée au début de l’année 2011 et votée par 73 % des Marocains le 1er juillet visait à répondre aux manifestants qui scandaient dans les rues des principales villes marocaines leur envie de réformes, elle se replace également dans une temporalité plus longue, relève l’Institut Thomas Moore.
Dès le début de son règne, le roi Mohammed VI a en effet placé son accession au pouvoir sous le signe du changement, évoquant dans son discours royal du 12 octobre 1999 un « nouveau concept d’autorité », la lutte contre la corruption, la poursuite de la décentralisation politico-administrative et la mise au premier plan des priorités nationales telles la réduction de la pauvreté et les questions sociales. Le lancement de programmes tels que Villes sans bidonvilles en 2004 ou encore l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) en 2005, la multiplication des grands chantiers en matière de transport et d’équipements urbains et les efforts en matière de désenclavement et d’équipement rural soulignent cette volonté de réduire les inégalités et d’améliorer les conditions de vie des Marocains.
« Bruissements et recompositions politiques ». L’étude note que si certains partis politiques marocains ont été pris au dépourvu, d’autres ont rapidement réagi. Le 6 octobre, huit d’entre eux, dont deux membre de la coalition gouvernementale au pouvoir et cinq siégeant à la chambre des représentants, annonçaient la création d’une nouvelle coalition politique regroupant huit partis dans la perspective des élections législatives anticipées.
Les deux premiers sont le Rassemblement national des indépendants (RNI), dont sont issus cinq ministres, et le Parti authenticité et modernité (PAM). Les six autres sont l’Union constitutionnelle (UC), le Mouvement populaire, le Parti socialiste (PS), le Parti de la Gauche verte (PGV), le Parti travailliste et le parti islamiste Annahda wa Al Fadila. Selon ses membres, la « Coalition pour la démocratie » se donne pour objectif de « parvenir à un compromis entre les contraintes de la réalité, les nécessités du changement et l’exigence de rationalisation » (3). De leur côté, le Parti de l’Istqlal, l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) et le Parti du progrès et du socialisme (PPS) ont présenté le 2 novembre, dans le cadre de la Koutla démocratique du Maroc, une plate-forme commune. Même le PJD, qui pour l’instant s’est opposé à toute alliance, n’échappe pas à ces discussions habituelles des négociations préélectorales marocaines, les trois partis de la Koutla ayant, dans les premiers jours de novembre, évoqué la possibilité après les élections d’un rapprochement avec celui-ci.
Derrière ces tractations et les objectifs annoncés par ces coalitions politiques, la scène politique marocaine demeure fragmentée, avec des partis obligés de recourir à des alliances pour gouverner, seloncette étude de l’Institut Thomas Moore.
Finalement, selon nombre d’observateurs, la principale rupture pourrait venir d’une augmentation du poids des partis islamistes à la faveur d’un contexte régional favorable et notamment de la victoire des islamistes d’Ennahda en Tunisie, à commencer par le PJD, principal parti islamiste marocain.
Cependant, dans ce domaine, la Tunisie et le Maroc présentent une différence importante. Alors qu’Ennahda symbolise la fin de l’ordre ancien et la nouvelle Tunisie, le PJD n’est pas une force nouvelle puisqu’il participe depuis plusieurs années à la vie politique, souligne l’Institut Thomas Moore.
Principal parti d’opposition dans le précédent Parlement, il est également présent au niveau local. De plus, et bien qu’il apparaisse pour nombre d’électeurs comme une alternative aux partis traditionnels et un facteur de changement, la plupart des occurrences sur la blogosphère francophone marocaine sont neutres à l’égard du parti, révélant un intérêt mais aussi une attitude non partisane, voire attentiste, lorsqu’il n’est pas considéré comme dangereux.
Selon cette étude, une partie des commentaires stigmatise en effet l’identité religieuse du PJD, perçue auprès d’une partie de la jeunesse comme en contradiction avec une société se définissant comme moderne et centrée sur l’individu et ses libertés, et son secrétaire général se voit reprocher un « opportunisme » électoral.
Plusieurs formations politiques ont appelé à boycotter les futures élections législatives marocaines. Des formations de gauche et d’extrême-gauche, comme le Parti socialiste unifié (PSU), s’opposent à une réforme qu’ils considèrent comme n’affectant pas réellement l’équilibre des pouvoirs. Le mouvement du 20 février également, malgré une fragilisation devant le vote massif en faveur de la réforme constitutionnelle, demande à ses partisans de ne pas se rendre aux urnes le 25 novembre, de ne pas participer à ce scrutin tout comme il avait demandé à ne pas voter le 1er juillet.
Des attentes.Derrière les débats sur l’opportunité ou non de boycotter les élections pour tenter de faire entendre la voix de la contestation, l’Institut Thomas Moore estime que les mobilisations initiées depuis février 2011 ne sont pas nouvelles et prolongent un cycle de protestations collectives vieux de dix ans en faveur d’un élargissement de l’espace de discussion et d’un activisme civil.
Si le mouvement du 20 février, poursuit l’étude, a réussi à s’imposer sur la scène médiatique et politique dans la continuité des révolutions tunisienne et égyptienne, il a depuis perdu en vitalité. Même si encore aujourd’hui, des jeunes manifestent régulièrement dans plusieurs localités et espèrent que les élections législatives seront l’occasion de donner un nouveau souffle à leurs demandes d’un renforcement des libertés individuelles et de l’établissement d’un Parlement plus fort.
Mais dans le même temps, le mouvement de contestation n’est pas considéré comme une alternative aux partis existants du fait de son rejet du système et de son manque de message politique clair, lié à une absence de leader et à un compagnonnage pesant lors des manifestations du printemps et du début de l’été avec les islamistes de Justice et Bienfaisance. Signe de ce manque de cohésion, au sein même des organisations des droits de l’homme et des mouvements islamistes, l’unanimité est loin d’être la règle, notamment sur la question de l’instauration d’un État laïc.
Il n’empêche, les jeunes Marocains intervenant sur la blogosphère sont très sévères à l’égard de l’ensemble de la classe politique, en attente de changements avec un renouvellement des cadres des partis et une intégration notamment de la jeunesse, mais aussi de nouvelles réformes.