Virage radical pour la diplomatie française face aux révoltes du monde arabe

De l’intervention militaire en Libye à l’appel au départ du président du Yémen Ali Abdallah Saleh, la politique arabe de la France a pris un virage radical ces dernières semaines, bien loin de la ligne de non-ingérence prô née lors des révolutions tunisienne et égyptienne.

"Je souhaite de tout coeur que (Mouammar) Kadhafi vive ses derniers moments de chef d’Etat" de Libye (24 février). "Il semble aujourd’hui que le départ du président (yéménite Ali Abdallah) Saleh est incontournable" (21 mars).

En deux phrases et en moins d’un mois à la tête du Quai d’Orsay, Alain Juppé repositionne la France dans le monde arabe, sans plus guère de précaution de langage à l’égard de dirigeants usés par des décennies de pouvoir et déconnectés de leurs peuples.

"La France avait une obligation de se refaire une virginité" après avoir manqué le train des révolutions tunisienne et égyptienne, relève Didier Billion de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Avec la Libye, riche en pétrole, il y a des "enjeux économiques" et Mouammar Kadhafi, haï dans le monde, "était facile à ostraciser", ajoute-t-il.

Dans le dossier libyen, la France a balayé le principe de "non-ingérence", édicté fin janvier par le président Nicolas Sarkozy. Sous couvert de protéger les civils, Paris a bénéficié d’une large liberté de manoeuvre du fait de la discrétion, voire de l’absence des Etats-Unis du démocrate Barack Obama.

"Les Américains sont obsédés par Bahrein et le Yémen", explique un responsable français sous couvert d’anonymat.

Coup sur coup, Paris a emporté l’adhésion internationale pour deux résolutions au Conseil de sécurité, jugées audacieuses: la première a validé un rô le pour la Cour pénale internationale (CPI) à l’égard du dirigeant libyen, la deuxième a autorisé "toutes les mesures nécessaires" pour protéger les populations.

La France a enchaîné en étant la première à survoler la Libye et à ouvrir le feu contre des positions libyennes, une entrée en guerre soutenue largement par la classe politique française, majorité et opposition confondues, confortant un président en chute libre dans la perspective d’un scrutin présidentiel en 2012.

Cette politique face aux révoltes arabes "est très volontariste et correspond à un contexte nouveau", juge Denis Bauchard de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Sur Bahrein, terre d’influence britannique par l’Histoire et base militaire stratégique pour les Etats-Unis dans la région du Moyen-Orient, le ministère français des Affaires étrangères est cependant resté très mesuré dans sa condamnation des violences contre les manifestants.

"C’est deux poids, deux mesures", constate Didier Billion.

Avec le Yémen, la France est beaucoup plus virulente. Faisant face à Djibouti, plaque tournante militaire stratégique pour Paris, le Yémen, où le groupe français Total est le principal investisseur étranger, dispose de gisements de pétrole et de gaz.

Si la France revendique une certaine réserve à l’égard de ses anciennes colonies ou protectorats, notamment avec l’Algérie aux liens avec les autorités françaises toujours empreints de susceptibilité, elle s’est cependant aussi portée haut et fort au côté du roi du Maroc Mohammed VI.

Cité en exemple par Alain Juppé devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le roi, qui a promis de profondes réformes politiques, continue de faire face à des manifestations demandant plus de démocratie et moins de corruption au Maroc. La France a évoqué "la mise en place d’une monarchie constitutionnelle" dans ce pays, des termes que le roi lui-même n’a pas utilisés.

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