Rama Yade : « Le sport, une des activités les plus exemplaires en matière de diversité ou de mixité »
Dans le cadre de son nouveau numéro consacré au thème « Sport et identité européenne », la revue Sport et Citoyenneté a interviewé la secrétaire d’Etat aux sports, Rama Yade.
Rama Yade : C’est d’abord la promesse d’une fête formidable. L’Afrique du Sud se prépare avec un très grand professionnalisme, comme j’ai pu le constater sur place en janvier. J’attends avec enthousiasme le match Afrique du Sud-France du 22 juin. Mais ce Mondial est aussi un symbole magnifique, aux résonances multiples. Le symbole d’un sport par essence universelle : après Pékin et avant Rio, la carte des grands événements sportifs ne cesse de s’étendre vers de nouveaux horizons.
Le symbole d’un sport réconciliateur : l’image de Nelson Mandela remettant en 1995 la Coupe du monde de rugby à François Pienaar, le capitaine des Springboks, reste gravée dans tous les esprits. Le symbole, enfin, de la puissance intégratrice du sport : à l’occasion de la Coupe du monde se multiplieront les initiatives extra-sportives, politiques, sociales, culturelles ou économiques. Nous devons être très attentifs à l’héritage que laissera le Mondial. J’y travaille en lien étroit avec les autorités, les institutions ou les associations locales, en particulier à travers le fonds sportif pour la protection internationale de l’enfance que je m’apprête à lancer et dont l’objectif est de lutter contre la "traite" des jeunes joueurs africains.
Le sport est un fait social plutôt paradoxal : il permet la rencontre, l’échange, le brassage social et culturel, mais il repose également sur la compétition, la performance. Selon vous, permet-il le rapprochement ou au contraire favorise-t-il l’individualisme, la victoire à tout prix et les dérives qui peuvent en découler ?
Je ne vois pas de paradoxe, pour ma part. Le sport est un formidable créateur de mixité sociale, rassemblant des hommes et des femmes de toutes origines, de toutes conditions sociales, de toutes opinions politiques. D’ailleurs, ce sont justement la recherche de la performance et l’envie de se mesurer à d’autres sur la seule base de ses qualités sportives qui conduisent souvent des individus très différents à se rencontrer sur un même terrain de jeu autour de règles et de valeurs communes.
Des dérives existent, certes. Elles sont parfois mêmes inquiétantes. Mais l’attention médiatique qu’elles recueillent ne fait pas pour autant d’elles un phénomène majoritaire. Le penser serait insultant à l’égard des millions de Français qui pratiquent un sport sans violence ni excès. Soyons plutôt attentifs à ce que les comportements condamnables de quelques-uns ne remettent pas en cause tout ce que le sport nous apporte.
La violence dans les stades constitue aujourd’hui un fléau qu’il convient d’éradiquer. Vous avez organisé fin janvier le premier congrès national des associations de supporters. On touche là une problématique centrale des questions d’identité dans le sport. Quels sont les objectifs de cette réunion ?
C’est le point de départ d’un processus de dialogue qu’il m’a paru essentiel de mettre en œuvre dès ma prise de fonctions. Je ne crois pas qu’on puisse éradiquer la violence, mais la faire reculer est un défi pour tous les ministres chargés des sports. La répression est absolument nécessaire. Elle produit des résultats indéniables, et on a beaucoup fait en ce sens, mais elle n’est pas suffisante. J’ai donc choisi d’enrichir l’action publique par une approche globale répression/prévention appuyée sur une démarche sociologique et opérationnelle de la question des supporters à l’échelle nationale et institutionnelle.
Cela n’avait jamais été tenté. Résumer le supportérisme à la violence est une erreur, et l’objectif est de parvenir à une connaissance plus fine des différentes circonstances qui conduisent les uns et les autres à des situations de conflit, pour proposer des solutions permettant d’y remédier. Pour la première fois, ont dialogué ensemble 176 associations de supporters, 50 représentants des clubs, 70 représentants des institutions du football et des pouvoirs publics. C’est une très grande réussite de l’avis de tous, et ce dialogue est la voie à suivre pour isoler les délinquants. L’identité du supporter, c’est de contribuer positivement au sport qu’il supporte, pas de le détruire. En travaillant autour de cette affirmation centrale, j’ai bon espoir de contribuer à une évolution favorable de la situation. A l’heure de l’Euro 2016, c’est un enjeu d’avenir.
Le 16 décembre dernier, vous avez organisé en France les Etats généraux des sports urbains. Ces nouvelles pratiques se caractérisent par une pratique jeune, diffuse, non encadrée et par des codes (vestimentaires, culturels…). Comment votre secrétariat d’Etat se positionne-t-il vis-à-vis de cette nouvelle vision du sport ?
Les sports urbains ne sont pas, en effet, des sports comme les autres. Leur pratique est plus libre, souvent innovante, entretenant des liens forts avec les nouvelles cultures urbaines. Parce qu’ils sont différents, les pouvoirs publics les ont longtemps ignorés. Je suis convaincue au contraire que nous avons beaucoup à apprendre de cette différence
Le fait d’avoir grandi à l’écart du monde sportif traditionnel n’est cependant pas sans poser de problèmes quant à l’encadrement de leurs activités ou l’accès aux équipements sportifs… C’est pourquoi j’ai lancé les Etats généraux des sports urbains. Rassemblant pour la première fois des associations, des dirigeants de fédérations, des élus locaux et des experts, ils ont pour objectif d’apporter une reconnaissance aux sports urbains qui leur fait défaut aujourd’hui. Il ne s’agit évidemment pas de faire perdre à ces sports leur originalité, mais bien de leur donner la place qu’ils méritent dans le sport français et les moyens de se développer plus rapidement